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    CAMILLE FLAMMARION...

     

    Camille Flammarion (1842-1925)

    Un jeune homme surdoué

     

     

    « Je suis né, écrit Camille Flammarion dans ses Mémoires, le samedi 26 février 1842, à 1 heure du matin, dans le bourg de Montigny-le-Roi, chef-lieu de canton du département de la Haute-Marne, qui comptait alors mille deux cent soixante-sept habitants. Je suis fils de campagnards, véritable enfant de la Nature. »

    Dès ses premières années, l'enfant prodige s'intéressa aux richesses de sa mère, la Nature, étudiant sur le vif aussi bien les papillons que les ruisseaux et les collines d'alentour. Mais c'est le ciel qui le fascinait plus que tout. A cinq ans, il observait, émerveillé, une éclipse annulaire de soleil ; à onze ans, depuis les remparts de Langres, il dessinait la comète de 1853. Malgré leur pauvreté, ses parents lui firent donner une éducation aussi complète que possible, mais, dès l'âge de quatorze ans, il dut gagner sa vie à Paris. Il se plaça donc comme apprenti chez un ciseleur-graveur, tandis que son père entrait chez le photographe Nadar.

    Comme il était de règle à cette époque, le jeune apprenti travaille seize heures par jour pour un salaire de famine, au vrai sens du terme. Il fréquente les cours gratuits du soir que dispense l'Association polytechnique ; rentré dans sa mansarde sans chauffage ni éclairage, il continue à étudier à la lueur d'une bougie et même au clair de lune quand il n'a plus d'argent pour la bougie. Le manque de sommeil s'ajoutant au manque de nourriture et l'excès de travail intellectuel accentuant la fatigue du travail manuel ont bientôt raison de sa santé.

    Le Dr Fournier se présente chez Camille malade de privations et de surmenage. Tout en lui prodiguant ses soins, ce médecin de quartier qui, comme le Dr Encausse, soignait gratuitement les pauvres, avise un énorme manuscrit de cinq cents pages. Il lit stupéfait : Cosmogonie universelle : étude du monde primitif, histoire physique du globe depuis les temps les plus reculés de sa formation jusqu'au règne du genre humain.

    Il feuillette l'énorme ouvrage illustré de cent cinquante dessins.

    — Tout cela est passionnant. Comment ce manuscrit est-il venu entre vos mains ? De qui est-ce ?

    — De moi... les dessins aussi.

    — Ce n'est pas possible ! Quel âge avez-vous donc ?

    — Seize ans. Attendez, docteur, j'ai un autre manuscrit, beaucoup plus élégant, celui-là recopié par ma sœur cadette. Elle aussi a pris sur son sommeil. Elle aussi a économisé sur ses maigres déjeuners pour m'acheter des livres.

    Le Dr Fournier continue à parcourir, émerveillé, la Cosmogonie universelle :

    — Mon petit, dès que je vous aurai remis sur pied, je m'occuperai de vous. J'ai des relations à l'Observatoire.

    Le providentiel docteur tint parole : un mois plus tard, Camille entrait comme élève-astronome à l'Observatoire de Paris que dirigeait alors l'illustre Le Verrier qui avait découvert la planète Neptune.

    Le manuscrit au titre interminable fut édité en 1885 et s'appela désormais le Monde avant l'apparition de l'Homme.

    En 1861, Camille est heureux : il a retrouvé la santé, il a dix-neuf ans, il mange à sa faim, il étudie toute la journée des choses qui le passionnent. Le voici qui flâne sous les galeries de l'Odéon sans se douter qu'il va découvrir l'autre face de l'univers et l'autre versant de sa pensée. Il tombe en arrêt sur le Livre des Esprits d'Allan Kardec. Il dévore l'ouvrage et demande à être reçu par l'auteur. De cette première entrevue naît une amitié qui ne se démentira jamais.

    Ce livre, dont aucun éditeur n'avait voulu et qu'Allan Kardec s'était résigné à publier à ses frais, devait faire, tant sur le plan commercial que sur le plan spirituel, une fulgurante carrière... qui n'est pas près de se terminer.

     

     

    CAMILLE FLAMMARION...

     

     

     

    A l'époque, Flammarion n'était pas encore acquis à cent pour cent au spiritisme. Mais c'est lui qui, en 1869, prononcera l'éloge funèbre de son ami, exaltant « ce bon sens incarné, cette raison judicieuse, ces précieuses qualités sans lesquelles l'œuvre n'aurait pu jeter ses immenses racines dans le monde ». Et se souvenant de l'accueil à bras ouverts que lui avait réservé le vieux druide, il conclut :

    « Tu fus le premier, ô maître et ami, qui, dès le début de ma carrière astronomique, témoignas une vive sympathie pour mes déductions relatives à l'existence d'humanités célestes... car, prenant en main le livre de la Pluralité des Mondes habités, tu le posas tout de suite à la base de l'édifice doctrinaire que tu dressais. »

    Un siècle plus tard, l'édifice kardécien se dresse toujours solidement fondé sur le roc des faits et lançant toujours vers le ciel métaphysique ses campaniles d'où l'on découvre l'infini.

    Cette même année 1861 devait voir la rupture avec Le Verrier. Que pouvait-il reprocher à cet étudiant qui travaillait avec autant de frénésie que d'intelligence ? Rien de précis. Ses remontrances se résumaient en ceci : le jeune homme s'égarait hors des sentiers battus. En réalité, le découvreur de Neptune était un jaloux et un caractériel. Son contemporain, Gaston Boucheny, nous apprend qu'il souleva contre lui tous ses collaborateurs et qu'il fallut lui adjoindre une sorte de comité de surveillance. Flammarion qui lui tenait tête dut se démettre. Il devint calculateur au Bureau des Longitudes et dressa les cartes du mouvement de la lune. Ce nouveau travail lui laissait beaucoup de temps libre : il le mit à profit pour écrire.

    En 1862, Camille Flammarion vient d'avoir vingt ans. A ce titre, il est convoqué à l'Hôtel de Ville de Paris pour le tirage au sort du service militaire de sept ans.

    Le maire du 1er arrondissement, qui fait partie de la Commission de recrutement, s'adresse au futur bidasse avec une amabilité toute spéciale :

    — Dites-moi, jeune homme, vous êtes sans doute le fils de M. Camille Flammarion, le célèbre auteur de la Pluralité des Mondes ?

    — Non, monsieur le Maire, répond Camille, comme en s'excusant, l'auteur en question, c'est moi. J'ai écrit ça l'année dernière.

    Jamais l'expression : fils de ses œuvres n'avait été plus vraie.

    M. le Maire n'en revenait pas. Personne n'en revenait : ni l'éditeur comblé qui voyait le livre traduit immédiatement en treize langues, ni Victor Hugo bouleversé d'admiration qui lui écrivait de Guernesey, le 17 décembre 1862 : « Les matières que vous traitez sont la perpétuelle obsession de ma pensée, et l'exil n'a fait qu'augmenter en moi cette méditation, en me plaçant entre deux infinis, l'Océan et le Ciel... Je me sens en étroite affinité avec des esprits comme le vôtre. Vos études sont mes études. Oui, creusons l'infini : c'est le véritable emploi des ailes de l'âme. »

    Stupeur d'Allan Kardec qui s'écriait dans la Revue spirite : « En voyant la somme d'idées contenues dans cet ouvrage, on s'étonne qu'un jeune homme, d'un âge où d'autres sont encore sur les bancs de l'école, ait eu le temps de se les approprier et, à plus forte raison, de les approfondir ; c'est pour nous la preuve évidente que son esprit n'est pas à son début, ou qu'à son insu il a été assisté par un autre esprit. »

     

     

    Stupeur du lecteur du XXe siècle quand il découvre ces lignes où l'extraordinaire profondeur de la pensée s'exprime dans une langue parfaite, dans un style ample et soutenu à la mesure des splendeurs qu'il décrit : « Autrefois nous considérions la Terre que nous habitons comme seule dans la nature, et nous pensions qu'étant l'unique expression de la volonté créatrice, elle était le seul objet de la complaisance et de l'amour de son Auteur.

     

    Nos croyances religieuses étaient fondées sur ce système égoïste et mesquin. Nous croyions alors notre humanité assez importante dans sa valeur absolue pour être le but d'une création qui dépendait tout entière de nos destinées ; pour nous, le commencement de la Terre, c'était le commencement du monde, de même que la fin de la Terre nous représentait la consommation de toutes choses.

     

    L'histoire de notre humanité était l'histoire de Dieu même : tel était le fondement de notre foi. Quand nos regards cherchaient à sonder les régions de notre immortalité future, nous assistions à la fin du monde, et l'heure où le dernier homme devra disparaître de la Terre caduque et glacée nous paraissait devoir marquer en même temps l'extinction de l'univers actuel et une révolution générale dans l'œuvre divine.

     

    Aujourd'hui, ces idées fausses sont éloignées de nos esprits mieux éclairés ; nous connaissons mieux notre état réel. Nous savons que la Terre n'est qu'un astre obscur, et que son habitant n'est qu'un membre de l'immense famille qui peuple la création entière. Nous savons que des astres resplendissants s'éteignent solitairement un jour ou l'autre, et que le monde ne change pas pour un événement aussi insignifiant que la mort d'un soleil, à plus forte raison pour la mort d'une petite planète comme la nôtre. Notre humanité tout entière serait détruite ce soir par un souffle mortel qu'on ne s'en apercevrait pas sur les autres mondes, et qu'il n'y paraîtrait rien dans la marche journalière de l'univers. »

    Souffle mortel : le génie prophétique ne manquait pas au jeune Flammarion. On sait aujourd'hui que les armes nucléaires déclenchent des effets thermiques et sismiques, des effets d'irradiation directe et de contamination radioactive, des effets d'ionisation et de perturbation électromagnétique, des effets de choc et de souffle.


    Camille Flammarion fut donc exempté du service militaire, ce qui lui permit de mener à bien l'édition de la Pluralité des Mondes habités. Ce livre qui offrait d'infinies et transcendantes perspectives connut un légitime succès. Mais déjà, à cette époque, l'astronome de vingt ans était prêt à dépasser les limites de la science. Son public d'ailleurs semblait l'y inviter.

    « Lorsque les premières éditions de mon livre la Pluralité des Mondes habités ont été publiées (1862-1864), un certain nombre de lecteurs parurent attendre la suite (la Pluralité des existences de l'âme). Si le premier problème a été jugé résolu par la suite de mes travaux (Astronomie populaire, la Planète Mars, Uranie, Lumen, Stella, Rêves étoiles, etc.), le second ne l'est pas encore, et la survivance de l'âme, soit dans l'espace, soit sur les autres mondes, soit par des réincarnations terrestres, pose toujours devant nous le plus formidable des points d'interrogation. »

    Parmi les ouvrages que Flammarion ne mentionne pas, citons Études et lectures sur l'Astronomie, les Héros du Travail, l'Atmosphère, De Paris à Vaucouleurs à vol d'oiseau. Il fit en effet plusieurs voyages scientifiques en ballon pour étudier la direction des courants aériens et l'état hygrométrique de l'air. C'est à ce titre qu'il était vice-président de la Société aérostatique de France.

    « Je suis né un 26 février, disait-il. On a fait remarquer que cette date de l'année est la même que celle de la naissance d'Etienne Montgolfier, de François Arago et de Victor Hugo. L'aérostation, l'astronomie, la poésie sont les trois muses qui m'ont charmé. »

     

     

    CAMILLE FLAMMARION...

     

     

    Une autre muse l'avait charmé, elle se nommait Sylvie, il en fit son épouse au grand dépit des nombreuses dames qui aspiraient à ce rôle. C'est en ballon que le couple intrépide entreprit son voyage de noces... qui faillit s'achever en tragédie. Brusquement, pour une raison inconnue, l'aéronef perdit de l'altitude et se mit à tomber en chute libre. Il atterrit exactement dans le jardin du curé qui avait béni leur mariage. Seules quelques roses trémières perdirent la vie en cette aventure. Pendant toute la durée de la chute, Camille eut le temps de se remémorer la prédiction d'une gitane : « Vous mourrez à quarante ans » ; il vécut jusqu'à quatre-vingt-trois.

    Et les livres s'ajoutaient aux livres : Dans l'infini, Vie de Copernic et Histoire de la découverte du système du monde.

    Passionné de recherche, travailleur infatigable, il avait hâte de communiquer aux autres le fruit de ses études ; il le faisait dans un style aussi clair que sa pensée. Il se laissait entraîner par le plaisir de montrer à tous les merveilles de l'univers. Son imagination puissante ne se lassait pas de représenter sous une forme accessible et agréable l'ensemble de ses connaissances.

    Malheureusement, à son époque (et encore à la nôtre) l'imagination, ce merveilleux pouvoir de penser par images, n'avait pas bonne presse, elle était synonyme d'illusion, de chimère et de rêverie. Le jugement suivant, qui émane de Gaston Boucheny, déjà nommé, est tout à fait caractéristique : « Depuis 1868, ce vulgarisateur ingénieux, mais trop plein d'imagination, a publié plusieurs ouvrages dans lesquels on retrouve ses qualités et ses défauts. »

     

    CAMILLE FLAMMARION...Soyons certains que parmi ses défauts, le pontife du XIXe siècle finissant stigmatisait l'aspect visionnaire du vulgarisateur ingénieux. Vulgarisateur ingénieux, disaient les uns ; vulgarisateur génial, disaient les autres, plus proches de la vérité. Prenons au sens noble ce terme qui a trop souvent une connotation péjorative. Le vulgarisateur est celui qui a pris pour devise : « Ce que tu sais, ne le conserve pas en avare pour toi. Répartis-le en prodigue à pleines mains et enrichis le plus grand nombre ! »

    Boucheny savait-il que, dès 1861, Flammarion s'intéressa aux phénomènes spirites et que, dans le cadre du cercle Allan Kardec de la rue de Valois, il pratiquait l'écriture automatique ? Savait-il qu'il fréquentait les principaux médiums de son temps : l'Anglais Slade, l'Écossais Daniel Dunglas Home, les Italiens Augusto Politi et Eusapia Paladino ?

    Le censeur, pour qui l'imagination était le péché capital, vécut-il assez longtemps pour voir surgir l'œuvre métapsychique de Flammarion aussi importante que l'œuvre astronomique ? Dans l'affirmative, il dut être horrifié de le voir rejoindre ces authentiques savants et philosophes qui avaient entrepris l'investigation systématique du monde supra-normal. En France, Gabriel Delanne, le Dr Maxwell, Charles Richet, Albert de Rochas ; aux États-Unis, William James ; en Angleterre, Crookes, Oliver Lodge, Myers, Hodgson et la Society for Psychical Research fondée en 1882.

    La Society for Psychical Research et Flammarion procédaient de la même manière, alternant les expériences médiumniques et la confrontation des témoignages. A lui tout seul, Flammarion en recevait autant que l'illustre Society. Comme elle, il les contrôlait de son mieux, se tenant à égale distance du scepticisme et de la crédulité. Ces lettres de lecteurs affluaient de tous les milieux, de tous les pays. C'est alors qu'il commença à les comparer, à les consulter, à les regrouper en un corpus impressionnant. Il en tira successivement les Forces naturelles inconnues (1907), l'Inconnu et les problèmes psychiques (1900 et 1911), la Mort et son mystère (3 volumes, 1920, 1921, 1922), les Maisons hantées (1923).

    Cependant les travaux de Flammarion métapsychiste ne nuisaient pas aux travaux de Flammarion astronome, que l'on connaissait déjà dans les divers pays. On n'a pas idée aujourd'hui de ce que fut sa célébrité. Elle était, au vrai sens du terme, mondiale. En voici quelques exemples : un médecin est appelé à donner ses soins à Ranavalo, reine de Madagascar, il la trouve plongée dans Histoire du Ciel.

    En 1900, Flammarion se rend en Espagne pour observer une éclipse totale. Son train doit s'arrêter de gare en gare où l'attendent chaque fois un tapis rouge semé de roses, un public délirant et un vin d'honneur offert par des officiels pleins de courtoisie et d'admiration[1].

     

     

    En 1912, l'astronome allemand, Max Wolf, désireux de lui marquer son estime, baptisa Juvisia une nouvelle étoile. Et l'Angleterre l'invita à présider sa Society for Psychical Research.

    Mais s'il est connu et reconnu par les grands de ce monde, il l'est tout autant par les petites gens. Le peintre Styka, perdu dans une forêt de Pologne, se réfugie dans la cabane d'un bûcheron : cet homme était en train de lire, traduite dans sa langue, l'Astronomie populaire.

    Un ouvrier agricole de la pampa argentine, à qui l'on présente un de nos compatriotes, s'écrie stupéfait, émerveillé :

    — Vous venez de France, monsieur ? de France, le pays de Napoléon et de Flammarion ?

    Flammarion estimait que les astronomes étaient particulièrement qualifiés pour étudier les phénomènes métapsychiques pour cette raison que ces phénomènes relevaient de l'observation plutôt que de l'expérimentation et ressemblaient en cela aux phénomènes astronomiques qu'il est impossible de reproduire à volonté. On entend, on lit souvent ce cliché : un fait n'est réputé scientifique que s'il est reproductible autant de fois qu'on le désire. Mais l'authenticité d'un fait ne dépend en aucune façon de la possibilité ou de l'impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de le reproduire à volonté. Tout fait d'observation doit être réputé exact dès qu'il a été dûment constaté. Parlant des témoignages qu'il recevait en si grand nombre, il écrivait : « Ce sont là des observations positives, indépendantes de toutes théories sentimentales et nous devons les admettre au même titre que les observations diverses de physique, de météorologie, d'astronomie. Elles doivent être classées dans le cadre toujours agrandi des études scientifiques. »

    Le problème métapsychique était posé, mais il ne prétendait pas l'expliquer. « Admettre et expliquer sont deux, poursuivait-il. CAMILLE FLAMMARION...

     

    La science n'en est pas encore là. Nous sommes forcés d'admettre les faits, lors même que nous ne les expliquons pas. Non, vraiment, ce que nous appelons la matière et ses propriétés ne suffit pas pour expliquer ces faits, et voilà pourquoi ils sont d'un autre ordre, d'un ordre qui a tous les droits à être qualifié de psychique. Les faits de cette nature sont trop fréquents pour être attribuables à des coïncidences fortuites. Le calcul des probabilités prouve mathématiquement leur réalité. »

    Chose curieuse, les mathématiques venaient au secours de la métapsychique naissante et c'est un grand mathématicien, Henri Poincaré, qui rendit à Flammarion l'hommage le plus chaleureux dans la forme la plus belle : « Il est venu un poète qui a su décrire les paysages des deux, les faire aimer de ceux qui ne les connaissaient pas ou de ceux qui ne savaient pas très bien les regarder ; ce poète, c'est Camille Flammarion. Il chante et les solitudes célestes s'animent ; les astres ne sont plus des points mathématiques obéissant passivement à des équations différentielles, ce sont des mondes parés de magnifiques couleurs où l'on s'agite, où l'on vit et où l'on aime. »


    Comme les métapsychistes travaillant aux côtés du professeur Richet, Flammarion tendait à expliquer les phénomènes médiumniques et supranormaux non par l'intervention des esprits mais par l'action d'une force encore inconnue qu'il nommait dynamisme universel. Il voyait l'univers comme un être vivant régi par ce dynamisme d'ordre psychique. « Il existe, disait-il, un milieu psychique ; il y a de l'esprit dans tout, non seulement dans la vie humaine et animale, mais aussi dans les plantes, dans les minéraux, dans l'espace. Ce n'est pas le corps qui produit la vie ; c'est plutôt la vie qui organise le corps. La substance unique est immatérielle et inconnaissable dans son essence ; nous n'en connaissons que les condensations, les agrégations, les arrangements, c'est-à-dire les formes produites par le mouvement. »

    On aurait pu lui objecter que matière, force, vie, pensée ne sont pas un, mais procèdent de l' Un. Ces quatre réalités ne se laissent réduire à l'unité que si l'on remonte à leur cause première.

    Flammarion psychiste reconnaissait volontiers tout ce qu'il devait à ses correspondants inconnus qui lui confiaient tant de faits insolites et bouleversants prouvant la réalité substantielle de l'autre monde. En outre, de leur côté, ses illustres amis : Allan Kardec, Victor Hugo, Dumas père, le Dr Charcot, le colonel de Rochas, la cantatrice Emma Calvé lui apportaient d'autres preuves qui finissaient par le convaincre.

    De 1865 à 1870, il fréquenta de façon intermittente Alexandre Dumas père. Le brave et excellent homme lui raconta un souvenir d'enfance que l'on retrouve dans ses Mémoires.

    Quand le général Dumas fut en fin de vie, on confia le petit Alexandre, alors âgé de quatre ans, aux soins de sa cousine Marianne. La nuit de son agonie, Marianne et Alexandre furent réveillés par de grands coups frappés à la porte de leur chambre. Nullement effrayé, l'enfant sauta de son lit et s'avança vers la porte.

    — Où vas-tu, Alexandre ?

    — Je vais ouvrir à papa qui vient nous dire adieu ! répondit-il le plus naturellement du monde, car il avait tout compris.

    A son tour, Marianne se leva, le rattrapa et le recoucha d'autorité tandis qu'il criait de toutes ses forces : « Adieu papa ! adieu papa ! » Un souffle passa sur son visage et il se rendormit.

    Le lendemain, on vint lui apprendre que le général était mort à l'heure où le grand coup avait été frappé : « Mon enfant, ton papa qui t'aimait tant est mort. Le bon Dieu te l'a pris. »

    — Et où demeure-t-il, le bon Dieu ? demanda le petit Alexandre qui avait son idée.

    — Il demeure au ciel.

    L'enfant sortit de chez son oncle et courut droit au domicile mortuaire. Il s'empara d'un fusil, monta l'escalier et rencontra sa mère qui lui demanda où il allait.

    — Je vais au ciel !

    — Et que vas-tu faire au ciel, mon pauvre enfant ?

    — Je vais tuer le bon Dieu qui a tué mon papa.

    Dans les années qui suivirent, Flammarion eut maintes fois l'occasion de connaître des faits semblables à ceux éprouvés par le petit Alexandre. En conclusion de son livre Autour de la mort, il écrivait : « Les faits psychiques examinés ici nous montrent, sans qu'aucun doute puisse subsister, qu'au moment de la mort une secousse subite, de nature inconnue, va parfois frapper au loin les êtres associés au mourant d'une manière quelconque, qui n'est pas toujours de la sympathie. Cette onde éthérée, ou projection électromagnétique, produit des phénomènes physiques et des sensations mentales. Ce sont là des émissions automatiques généralement involontaires, comparables à des vibrations électriques qui accompagneraient la désagrégation des liens terrestres. »

    CAMILLE FLAMMARION...Voilà qui est étrangement réductionniste et je ne puis approuver ce terme d'émissions automatiques involontaires. Je pense, avec le petit Alexandre, que le général Dumas, mû par ce puissant désir qu'inspire la tendresse, est venu réellement, corporellement, c'est-à-dire en son corps spirituel, dire adieu à son fils et qu'il l'a embrassé avant de partir pour l'autre monde.

    Se souvenant de cet instant unique, le vieil Alexandre Dumas écrivait avec une émotion aussi vive qu'au premier jour : « Quelque chose de pareil à une haleine expirante passa sur mon visage et me calma. »

    Flammarion avait un autre ami tout aussi glorieux : Saint-Saëns qui était persuadé que tous les spiritualistes sont dans l'erreur la plus totale. « Pardonne-moi, Camille, lui écrivait-il, mais malgré tous tes raisonnements, malgré ta grande autorité due à ta valeur exceptionnelle et à ton intelligence hors ligne, je ne crois pas à l'âme. Quant à Dieu, quand on voit tout ce qui se passe... »

    Flammarion répondait sur le même ton : « Tu es le plus charmant des amis, le plus puissant des musiciens, la gloire de l'Institut, l'un des plus profonds penseurs de notre époque ; mais tu n'es pas logique. Comment un assemblage quelconque de molécules chimiques sous ton crâne aurait-il pu sécréter cette prémonition bizarre ? »

    En effet, le matérialiste Saint-Saëns était très psychique et avait de fréquentes et remarquables prémonitions qu'il communiquait à son ami. Celle-ci par exemple : dans sa jeunesse, un peintre de ses amis lui fit voir un tableau qu'il destinait à l'Exposition annuelle en ignorant s'il serait reçu.

    Regardant cette toile, Saint-Saëns la vit accrochée dans la première salle du Palais de l'Industrie, exactement en haut de l'escalier. Le jour de l'ouverture de l'Exposition annuelle, la première chose qu'il aperçut fut le tableau trônant en bonne place, en haut de l'escalier.

    Quand il faisait le compte de ses adversaires, Flammarion les divisait en trois catégories :

    — les matérialistes convaincus comme Saint-Saëns que c'est la matière qui produit toute chose ;

    — les indifférents qui vivent dans l'instant, se moquent de tout et ne s'intéressent à rien ;

    — les croyants enfermés dans un dogme étroit, à quelque religion qu'ils appartiennent.

    Ces derniers étaient les plus acharnés. « J'ai reçu, dit-il, des lettres féroces de dames bien-pensantes, visiblement inspirées par leurs directeurs de conscience, me reprochant de ne pas croire aux dogmes chrétiens et d'admettre les contes ridicules de la télépathie, des sensations à distance et des annonces de morts.

    « " Il m'a été impossible de continuer la lecture de votre livre l'Inconnu, sifflait une de ces vipères de bénitier. C'est vraiment grotesque. " »

    Moins connu que Flammarion, j'ai reçu moins de missives de ce genre, mais j'ai eu aussi ma ration, dispensée par de pieuses personnes. Souvent leurs lettres féroces se terminent par la formule : je prie pour vous.

    Mais dans l'ensemble les innombrables correspondances qui affluaient sur le bureau de Flammarion étaient chaleureuses et lui apportaient des éléments qu'il intégrait ensuite à ses ouvrages après les avoir vérifiés.

    En général, il était prudent à l'extrême et adoptait, comme beaucoup de scientifiques, une attitude résolument réductionniste. Le passage suivant est très caractéristique de cette prise de distances :

    « Les manifestations qui viennent de se dérouler devant nos yeux se sont produites au moment même de la séparation de l'âme. Comme nous l'avons fait remarquer, elles ne prouvent pas la survivance, mais elles prouvent l'existence d'une force psychique indépendante douée de la faculté d'agir loin du corps...

    « Plus que jamais notre méthode doit se montrer extrêmement sévère. Apparitions de vivants ou de morts ? Avant d'affirmer, soyons sûrs ! Certaines identités bien apparentes peuvent être entièrement erronées, certaines ressemblances peuvent être dépourvues de toute valeur. »

    Et il cite un exemple pris dans les travaux de son Observatoire de Juvisy. Un jour, le 10 octobre 1910, dans ses photographies de nuages, il découvrit le portrait d'un homme couché dont la belle chevelure blanche, le front dégagé, les yeux, le nez, la barbe et le cou étaient remarquablement modelés.

    Il déclara que cette photographie céleste représentait M. Fallieres. CAMILLE FLAMMARION...

    Il la lui fit parvenir et le président de la République fut fort satisfait.

    Mon opinion personnelle est que cet homme à la belle chevelure blanche, apparu dans les nuages le dixième jour du dixième mois de la dixième année du siècle, était simplement Flammarion lui-même.

    Notes :

    1. En revanche, la France officielle, fidèle à sa tradition de petitesse et dingramude, a méconnu celui que le monde entier acclamait: les plaques Camille Flammarion ne courent pas nos rues. Les politiciens, qui sont bien placés pour se distribuer généreusement les avenues, les boulevards et les stations de métro, ont oublié cet homme qui les dépasse de cent coudées

    La mort et son mystère

    Ses amis, surtout les artistes, ces êtres qui frémissent à toutes les influences du monde parallèle, faisaient part à Flammarion de leurs expériences psychiques et il en tirait toutes les conclusions. C'est ainsi qu'Emma Calvé, qui joua plus de trois mille fois Carmen sur toutes les scènes du monde, lui avoua un jour :

    « Au troisième acte quand j'interroge les cartes, il m'arrive de le faire sérieusement et d'obtenir des réponses qui se réalisent. Eh bien, la même chose est arrivée à ma collègue, Mme Galli-Marié, quoiqu'elle n'ait pas posé de questions.

    « Tout en disant sur scène la bonne aventure, la voici qui retourne la carte de la mort. Impressionnée, elle bat longuement le jeu et, de nouveau, la mort surgit. Elle recommence... et elle comprend aussitôt que le mauvais présage concerne Bizet et doit prendre sur elle pour aller jusqu'au bout de ce troisième acte. Arrivée dans sa loge, elle s'évanouit. Les cartes n'avaient pas menti. Bizet, vous vous en souvenez, mourut peu de temps après. »

    Flammarion savait que les cartes ne mentent pas pour la bonne raison qu'elles ne parlent pas. Il n'y a rien dans les cartes, tout se passe dans le mental du consultant. Tout s'explique par la liaison télépathique entre deux êtres, par leur affinité spirituelle. Or, une solide amitié s'était établie entre le compositeur et sa cantatrice. La carte à jouer n'avait été qu'un support, un carton blanc aurait fait tout aussi bien l'affaire.

    C'est ce que Flammarion devait expérimenter auprès du Dr Charcot. En 1889, à la Salpêtrière, il fit avec lui quelques expériences d'hypnotisme.

    « Il m'invita à prendre un jeu de cartons blancs, à en choisir un, à imaginer que mon portrait était dessus, et à montrer ce portrait fictif à la malade. Je fis ensuite au dos de ce carton une marque que l'hypnotisée ne vit pas, je battis ces cartes, et je les lui présentai sans les retourner, en la priant d'y chercher mon portrait.

    « Elle y réussit immédiatement ; ce qui me plongea dans un assez vif étonnement. Et elle voulut emporter cette carte blanche dans sa chambre pour la conserver en souvenir, y voyant absolument mon portrait[1]. Le magnétiseur était là, il est vrai. Mais l'hallucination véridique était incontestable. »

    Et il tire de ce fait une conclusion qui va très loin : « Que notre pensée produise des images et donne naissance à des apparitions, ce n'est pas douteux. »

    Rares sont les apparitions objectives vues simultanément par des centaines de personnes non préparées et quelquefois sceptiques.

    Les expériences d'hypnotisme comportent des surprises parfois lugubres. Vingt ans plus tard, au cours d'une séance à laquelle il n'assistait pas, mais que lui rapporta son amie, Mlle Dudlay de la Comédie-Française, il se passa quelque chose de très inquiétant. L'expérimentateur demanda à une jeune comédienne, Irène Muza, plongée en sommeil hypnotique, ce qu'elle voyait pour son proche avenir. Elle écrivit alors : « Ma carrière sera courte ; je n'ose dire quelle sera ma fin : ce sera terrible ! »

    L'hypnotiseur se hâta de détruire, d'accord avec les personnes présentes, le sinistre message. Irène se réveilla n'ayant gardé aucun souvenir.

    CAMILLE FLAMMARION...Ce fut terrible, en effet : au cours de l'hiver qui suivit, sa femme de chambre lui faisait un shampooing avec une lotion composée d'essences minérales ; tandis qu'elle la frictionnait énergiquement, quelques gouttes se projetèrent sur le poêle chauffé au rouge. Tout se mit aussitôt à flamber. Le feu gagna les cheveux et le peignoir d'Irène qui fut transformée en torche vivante. Quelques heures plus tard, elle mourait à l'hôpital dans d'horribles souffrances. Chose étrange, la femme de chambre, qui manipulait le liquide inflammable, fut épargnée.

    Toujours désireux de s'informer sur les problèmes de l'hypnotisme, Flammarion assista, de 1892 à 1895, aux expériences qu'Albert de Rochas organisait en son appartement de l'École polytechnique dont il était l'administrateur. Ces expériences que le colonel qualifiait d'extériorisation de la sensibilité étaient destinées à prouver qu'il existe autour de nos corps une atmosphère invisible, agissante et vivante.

    « Dès qu'on magnétise un sujet, expliquait-il, la sensibilité disparaît chez celui-ci à la surface de la peau.

     

    C'est là un fait établi depuis longtemps ; mais ce qu'on ignorait, c'est que cette sensibilité s'extériorise. Il se forme, dès l'état de rapport, autour de son corps une couche invisible, séparée de la peau par quelques centimètres.

     

    Si le magnétiseur, ou une personne quelconque, pince, pique ou caresse la peau du sujet, celui-ci ne sent rien. Mais si le magnétiseur, moi en l'occurrence, fait les mêmes opérations sur la couche sensible, le sujet éprouve les sensations correspondantes. De plus, j'ai constaté qu'à mesure que l'hypnose s'approfondit, il se forme une série de couches analogues, à peu près equidistantes. Et la sensibilité de ces couches décroît proportionnellement à leur éloignement du corps. »

    Le colonel avait encore perfectionné cette expérience déjà remarquable. Il pouvait diriger à volonté la sensibilité du sujet et la fixer en des objets divers.

    Ayant hypnotisé Mme Lambert, son médium habituel, il constata son insensibilité absolue en piquant la peau en divers points du corps.

    — Vous le voyez, dit-il à Flammarion, l'anesthésie est complète. Je place maintenant un verre rempli d'eau entre les mains de cette dame, tandis que mon assistant, placé derrière elle, tient ses paumes hermétiquement appliquées sur ses yeux. Je pique alors avec une épingle l'eau contenue dans le verre. Mme Lambert fit une grimace de douleur. « – Dites-moi ce que vous ressentez ! ordonna-t-il.

    — Vous m'avez piqué la main gauche. »

    Il piqua alors la main de la dame qui n'eut aucune réaction.

    — En revanche, poursuivit le colonel, si j'appuie la pointe sur la paroi extérieure du verre, elle ne sent rien du tout. C'est l'eau qui a capté la sensibilité.

    Le colonel continua ses recherches psychiques jusqu'au jour où un général inspecteur les découvrit avec horreur. Le scandale éclata : on ne pouvait tolérer des pratiques occultes dans une école militaire. Les foudres du général André, alors ministre de la Guerre, s'abattirent sur son subordonné qui fut mis à la retraite. Il se retira dans sa propriété de l'Agnelas, proche de Voiron, où il fît venir la célèbre Eusapia Paladino, également étudiée par Lombroso, Richet, Ochorowicz, Schiaparelli, Aksakof, Myers, Maxwell, Dariex, et Flammarion.

    Puisqu'il est question ici du colonel de Rochas, je voudrais que soit enfin rendu hommage aux chercheurs européens et en particulier aux Français qui ont largement devancé les Américains. Puissent les noms de Gabriel Delanne, du professeur Richet, des docteurs Luys, Charcot, Geley et Osty ne pas être oubliés au profit des noms de Rhine, de Stevenson et de Moody.

    A propos de ce dernier, on sait le succès que remporta en Europe son livre Life after Life traduit en français sous le titre la Vie après la vie.

    On s'enthousiasma (à juste titre d'ailleurs), mais on ignorait ou voulait ignorer qu'un demi-siècle plus tôt Flammarion avait relaté une expérience en tous points identique. Le 1er novembre 1920, un de ses lecteurs, M. J. Ramel, financier de Genève, lui signalait son cas. Atteint d'une grave maladie cardiaque, il était resté assez longtemps plongé en léthargie : « J'entendais tous les miens parler autour de moi, mais je n'étais pas moi ; mon moi était à côté, debout, dans un corps fluide et blanc ; je voyais le chagrin de ceux qui s'efforçaient de me ranimer et j'ai eu cette pensée :" A quoi sert cette misérable dépouille ? " Cependant, en constatant leur tristesse, un grand désir m'est venu de retourner vers eux. C'est ce qui arriva. Toutefois, il me semble que, si je l'avais voulu, je serais resté dans l'au-delà. J'en ai vu la porte s'entrouvrir, mais je ne peux dire ce qu'il y avait derrière. »

    Voilà un témoignage qui recoupe trait pour trait ceux qu'a rassemblés le Dr Moody.

    Flammarion lui-même était un remarquable médium. Sa petite-nièce, mon amie Odette Boyer, à qui je dois une documentation de première main, me rapporte les propos de sa mère, née Yvonne Vaillant-Flammarion :

    — J'ai participé aux expériences de l'oncle Camille, c'était extraordinaire. Dès qu'il posait les mains sur le guéridon, celui-ci faisait des bonds, s'emballait, gambadait, courait autour du salon ; on avait de la peine à le suivre.

     

     

    Mais s'il possédait la médiumnité à effets physiques, Flammarion possédait aussi la médiumnité spirituelle sous sa forme la plus haute : la prophétie.

     

     

    Dans son livre la Fin du monde (1893), il nous montre un habitant de Paris regardant de son lit une bayadère dansant à Ceylan. Les critiques de l'époque firent des gorges chaudes de l'illustration de la page 273 où l'on voyait une scène qui, grâce à la télévision, se reproduit désormais chaque soir. Nous sommes en effet des millions à regarder de notre lit la bayadère qui danse aux antipodes. Les critiques, qui se gaussaient stupidement, parlaient des imaginations de M. Flammarion, sans comprendre que lesdites imaginations étaient précisément des images du futur que captait le grand visionnaire.

    Songeait-il à lui-même quand il écrivait : « On peut penser que le subconscient, l'être psychique dans l'exercice de ses facultés supranormales, notamment la prescience, s'affranchit des limitations de l'espace et du temps, c'est-à-dire des lois qui régissent notre monde matériel. C'est ainsi que les choses futures lui apparaissent comme étant sur le même plan que les choses présentes et passées ! »

    Au début de 1921, quand Flammarion corrige les épreuves d' Après la mort, troisième partie de la Mort et son mystère, la TSF en est à ses débuts. Il tire toutes les conséquences de cette invention prodigieuse qui nous paraît aujourd'hui si banale : « Les expériences actuelles de radiotélégraphie et de radiotéléphonie établissent que l'atmosphère dont nous sommes entourés et pénétrés est constamment parcourue par des ondes éthérées qui traversent les murs et ne deviennent perceptibles pour nos sens que si elles sont captées par des appareils spéciaux accordés avec leurs vibrations ; nous vivons perpétuellement nuit et jour, au milieu d'un monde invisible. » Les grandes inventions du XXe siècle l'enthousiasmaient parce qu'elles lui permettaient de comprendre les phénomènes qui le passionnaient : télépathie, fantômes de morts ou de vivants.

    Il admettait que toute pensée agit virtuellement avec plus ou moins d'intensité comme un agent dit naturel, comme un projectile, une pierre, un morceau de métal et peut se projeter au loin : « Mais il faut distinguer entre les apparitions matérialisées et celles qui ne le sont pas. Ces dernières paraissent être bien souvent des sortes de projections, de téléphotographies animées, de cinématographies. » Avec ces téléphotographies animées, nous ne sommes pas loin de la télévision qui devait naître onze ans après sa mort.

    A deux ans du terme fatal qu'il ne redoutait pas, il écrivait dans les Maisons hantées : « Un biographe vient de faire remarquer que ma vie n'aurait-elle servi, après l'investigation du monde astronomique et la démonstration de la vie universelle, qu'à prouver l'existence de l'âme humaine, elle n'aura pas été inutile au progrès de l'humanité. »

    Cette phrase est, en effet, le résumé de ce long temps passé sur terre à expliquer aux hommes les mystères des deux infinis : le naturel et le surnaturel. Toute sa vie il avait été fasciné par le scandale de la fin corporelle et par l'énigme de ce qui suit. Quand il était tout enfant, voyant passer un enterrement, il avait demandé à un ami de son âge :

    — Est-ce que je mourrai, moi aussi ?

    — Eh oui, comme tout le monde !

    — Ce n'est pas vrai. On ne doit pas mourir.

    Et il ajoute, dans ses Mémoires, qu'il rêva plusieurs mois sur cet irritant problème avant de conclure : « La conviction que la mort n'existe pas a continué de dominer mon esprit ; nous ne pouvons pas être détruits. »

    Ce savant profondément mystique avait composé, en 1867, ce poème en prose en contemplant depuis Sainte-Adresse l'immense panorama[2] de la baie de Seine :

    « Que tu es grand ! Qui donc osa te nommer pour la première fois ? Quel est donc l'orgueilleux insensé qui pour la première fois prétendit te définir ? Ô Dieu ! ô mon Dieu ! toute-puissance et toute tendresse ! immensité sublime et inconnaissable !

    « Et quel nom donner à ceux qui vous ont nié, à ceux qui ne croient pas en vous, à ceux qui vivent hors de votre pensée, à ceux qui n'ont jamais senti votre présence, ô Père de la Nature ?

    « Oh ! je t'aime ! je t'aime ! Cause souveraine et inconnue. Être que nulle parole humaine ne peut nommer, je vous aime, ô divin Principe ! mais je suis si petit que je ne sais si vous m'entendez.

    « Comme ces pensées se précipitaient hors de mon âme pour s'unir à l'affirmation grandiose de la nature entière, des nuées s'écartèrent du couchant et le rayonnement d'or des régions éclairées inonda la montagne.

    « Oui ! tu m'entends, ô Créateur ! toi qui donnes à la petite fleur des champs sa beauté et son parfum ! La voix de l'Océan ne couvre pas la tienne, et ma pensée monte vers toi, ô mon Dieu ! avec la prière de tous.

    « Du haut du cap, ma vue s'étendait au Sud comme à l'Occident, et sur la plaine comme sur la mer. En me retournant, je vis les villes humaines à demi couchées sur la plage.

    « Au Havre, les rues marchandes s'illuminaient, et plus loin, sur la côte opposée, à Trouville, le char du plaisir allumait ses flambeaux.

    « Et tandis que la nature s'était reconnue devant Dieu pour saluer la mission de l'un de ses astres fidèles, tandis que tous les êtres s'étaient communiqué leurs prières, et que le flot grondant des mers unissait à la brise du soir son action de grâce à la fin de ce beau jour ; tandis que l'œuvre créée, unanime et recueillie, s'était offerte au Créateur ; la créature douée d'une âme immortelle et responsable, l'être privilégié de la création, le représentant de la pensée, l'Homme, vivait à côté, insouciant de ces splendeurs, ayant des yeux pour ne pas voir, des oreilles pour ne pas entendre, semblant ignorer cette universelle harmonie au sein de laquelle il devrait trouver son bonheur et sa gloire. »

    Cette invocation, digne par son ampleur de nos meilleurs écrivains classiques, fut lue par le comédien Alexandre aux trois mille auditeurs du grand amphithéâtre de la Sorbonne venus lui rendre hommage, le 14 juin 1922, à l'occasion de ses quatre-vingts ans. Elle fut accueillie par d'interminables applaudissements et Camille Flammarion se pencha vers le prince Bonaparte, président de la Société astronomique de France, en murmurant :

    — Que le charme de la diction est admirable ! Je n'aurais jamais imaginé avoir écrit ces pages-là. CAMILLE FLAMMARION...

    A ses dons d'écrivain, de philosophe et de savant, Camille Flammarion ajoutait, nous l'avons vu, des dons médiumniques certains. Dans sa jeunesse il avait pratiqué l'écriture automatique, mais il ne prenait pas pour argent comptant tout ce que racontaient les communications. Jeune homme, il avait reçu des messages de Galilée en présence de Victorien Sardou et d'Allan Kardec qui les publia dans la Genèse. Par la suite, il émit des doutes sur leur origine : « Ces pages astronomiques ne m'ont rien appris, reconnut-il avec son honnêteté et son bon sens habituels. Je ne tardai pas à en conclure qu'elles n'étaient que l'écho de ce que je savais et que Galilée n'y était pour rien. C'était là comme une sorte de rêve éveillé. »

    Son attitude vis-à-vis du spiritisme fut toujours ambivalente. En 1869, il avait refusé d'assumer la succession d'Allan Kardec à la présidence de la Société spirite de Paris ; il reprochait au mouvement de prendre une orientation trop religieuse. En revanche, en 1923, il accepta la présidence de la très efficace et très sérieuse Society for Psychical Research. C'est lui et non Allan Kardec, à qui on l'attribue souvent, qui formula cet aphorisme : « Le spiritisme sera scientifique ou ne sera pas. »

    Son contemporain et ami, Léon Denis, l'a parfaitement jugé : « Flammarion infailliblement attaché à la réussite de la preuve ne se jeta jamais à l'aventure dans l'inconnu, pour y conclure trop vite, et conduisit son investigation dans le monde des âmes avec la sévérité de contrôle dont il faisait sa loi lorsqu'il parcourait, table de logarithmes en main, les étendues interplanétaires. »

    C'est Léon Denis qui fut le premier informé par le monde invisible de la mort imminente de Flammarion. Voici en quelles circonstances : Jean Meyer demanda à Denis de présider le Congrès spirite international qui devait se tenir à Paris en septembre 1925. Il commença par refuser, invoquant son grand âge : « Croit-on que je vais présider des congrès jusqu'à perpétuité ? J'ai quatre-vingts ans. Des congrès, j'en ai assez présidé ! Pour moi, c'est une affaire finie et bien finie. »

    Il invoqua aussi son infirmité : il était devenu aveugle, ce qui rendait tout voyage extrêmement difficile.

    Comme Jean Meyer revenait à la charge, le vieillard décida de consulter ses guides, et de leur exposer son problème : « C'est présumer de mes forces, leur dit-il, que d'aller à mon âge présider un congrès. Flammarion me remplacera bien. »

    D'un ton ferme, l'esprit prononça par la bouche du médium :

    — Flammarion n'y sera pas. Il est de ton devoir de te rendre à Paris.

    — Comment ! s'exclama Léon Denis, incrédule, Flammarion s'abstiendrait ?

    — Je te dis que Flammarion n'y sera pas.

    Et la prophétie se réalisa : le 5 juin 1925, Flammarion se leva prestement comme à l'accoutumée. Il ouvrit sa fenêtre toute grande sur son jardin de Juvisy transfiguré par la naissance du jour. Il aspira l'air frais à pleins poumons, admira une fois de plus l'océan de verdure qui entourait cet ancien relais de la cour de France, étendit les bras en un geste d'invocation à la splendeur du monde et s'écria en s'adressant à Gabrielle, sa seconde épouse : « Ah ! quelle belle journée ! quelle belle journée ! »

    Et il s'effondra, terrassé par une crise cardiaque.

    La belle journée était en réalité le jour éternel.

    Il lui restait à connaître l'apothéose. Il la connut bientôt, et nous ne parlons pas au sens figuré : Flammarion fut réellement placé parmi les dieux, ou du moins parmi les prophètes d'une nouvelle religion qui avait déjà invité en son panthéon Jeanne d'Arc, Victor Hugo, Allan Kardec, et, ô stupeur, Descartes et Auguste Comte.

    Cette religion, le Caodaïsme, où les personnages sacrés de nationalité française tenaient une place si éminente, avait été fondée en 1926, à Saigon, par un taoïste, Ngô Van Chiêu (1878-1933). Au cours d'une séance spirite, l'Être Suprême en personne se manifesta à Ngô et aux secrétaires d'administration qui constituaient son petit groupe. Il leur révéla son nom : Cao Daï, et leur enjoignit d'opérer la synthèse des principales doctrines spirituelles. Ce qu'ils firent, mélangeant hardiment le taoïsme, le bouddhisme, le catholicisme et le confucianisme. Une fois de plus, on pasticha l'Église romaine, on constitua un clergé, on nomma des évêques, des cardinaux, un pape. Seule différence, les médiums tenaient lieu de prêtres.

    La Sainteté élue ne fut point le fondateur, Ngô Van Chiêu, comme on aurait pu s'y attendre, mais une importante personnalité du conseil gouvernemental : Le Van Trung, aussi couvert de femmes qu'un pape de la Renaissance. Mais nul ne s'en choqua. Après tout, le prophète Hugo avait, de son vivant, donné l'exemple.

    Le calcul de Ngô était bon. La conversion de ce haut fonctionnaire fit grande impression. Les néophytes se multiplièrent, les sanctuaires aussi, car le prophète Hugo avait dicté par la corbeille à bec, variété indochinoise du oui-ja : « Élevez des temples grandioses à l'Être Suprême, sous toutes ses formes. Avec les dieux d'hier vous constituerez la religion de demain. »

    La religion de demain, qui correspondait à la fois aux tendances mystiques et au réveil de la conscience nationale des Indochinois, remporta un grand succès ; les fidèles au bout de quelques années se comptèrent par millions. Des cohortes de pèlerins affluèrent à la cathédrale de Tay Ninh afin de vénérer l'image de Victor Hugo en habit d'académicien avec une auréole autour de son bicorne, celle de Jeanne d'Arc brandissant son oriflamme, et celle de Flammarion en redingote montrant du doigt un ciel à la fois physique et métaphysique.

    Notes :

    1. Dans le Horla, Maupassant cite une expérience semblable.
    2. Une vingtaine d'années plus tard, Thérèse de Lisieux le découvrira à son tour, depuis Trouville, et ce sera pour elle aussi la révélation de la splendeur de Dieu.

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