• Honoré D'ESTIENNE D'ORVES

      

    Honoré d'Estienne d'Orves

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    - RESISTANTS -

    Rares sont les juges qui louangent leurs victimes. Le désintéressement absolu, la hauteur morale d'Honoré d'Estienne d'Orves et de ses compagnons étaient tels que le tribunal militaire allemand qui les condamna à mort leur rendit hommage. Philippe Ragueneau, compagnon de la Libération, évoque la figure de l'archange de la Résistance, premier officier de la France libre fusillé par les Allemands.




    ESTIENNE D'ORVES

    SANS PEUR ET SANS REPROCHE







    Le 29 août 1941, à 6 h 30 du matin, un soleil radieux caresse la cime des grands arbres, dont l'ombre, encore longue, paresse sur les plantes herbeuses du coteau. Aujourd'hui, il fera chaud.

    Des gens sont là, qui parlent entre eux, à voix basse: l'abbé Stock, le conseiller Keyser, un officier, et aussi dix soldats, l'arme au pied. Nous sommes à la caponnière du Mont-Valérien et, dans sept minutes exactement,

    Maurice Barlier, Yan Doornik et Honoré d'Estienne d'Orves - immobiles, sans liens ni bandeau, face au peloton d'exécution - seront couchés parles balles sur ce sol de France qu'ils ont tant aimé ...

    Que sait-on du lieutenant de vaisseau Henri Louis Honoré comte d'Estienne d'Orves, premier officier de la France libre fusillé par les Allemands? Les rues et les places portent son nom. A Verrières-le-Buisson, des fleurs modestes entourent une tombe sans emphase. Mais qui fut cet homme dont les plaques commémoratives nous disent simplement qu'il vécut quarante années ? ..

    Honoré d'Estienne d'Orves naquit le 5 juin 1901 à Verrières-le-Buisson dans une vieille famille aux traditions vivaces, profondément chrétienne et légitimiste (les deux grands-pères de sa grand-mère avaient combattu pour le roi, chez les chouans, s'il vous plaît.) Dans ce milieu équilibré et dynamique où les valeurs spirituelles donnent leur exacte dimension aux progrès scientifiques et techniques (qui sont ici pain quotidien) comme aux curiosités culturelles, Honoré écoute, observe, étudie et s'épanouit. Il nous a laissé, dans un Journal de famille rédigé dans sa cellule du Cherche-Midi, en 1941, à l'intention de ses enfants, des notations pleines de fraîcheur: «... Mon enfance fut bercée par le sifflet strident des remorqueurs au passage des ponts, par le bruit incessant des grues qui, inlassables, déchargeaient du sable sur les quais, par, aussi, les bruyants tramways. Devant la maison passait un mystérieux tramway électrique, sans trolley, où le courant était amené par des plots encastrés dans la chaussée ... Il était bien recommandé de ne pas marcher dessus ... »

    On voyage beaucoup dans la famille, ou, plus précisément, on voyage en famille. On circule de Nice, « chez grand-mère », à Orbes près de Lagoubran, « où les enfants faisaient mille blagues dans cette grande maison sonore» ; de Biarritz, pour les vacances, à Menton ; de Monte-Carlo à Chevilly ... A l'écoute du temps, on ne manque aucun meeting aérien et l'on applaudit aux exploits de Henri et Maurice Farman, de Robert Esnault-Pelterie, du comte de Lambert. ..

    Et puis c'est la guerre - l'autre, celle de 1914-1918. Les Allemands foncent vers Paris; la famille se replie à Saint-Brieuc. Est-ce sur ce port, qu'il découvre et qui l'enchante, qu'Honoré d'Estienne d'Orves entend l'appel de la mer? Possible ... Mais, pour l'heure, il faut bûcher dur afin de mériter un jour ce que promet la vie. Toutefois, ce qui caractérise la jeunesse d'Honoré est une harmonieuse répartition entre les activités studieuses et les acquisitions culturelles et humaines. Il passe son bac en 1917, mais, dans le même temps, fréquente le théâtre et les bals de la jeunesse. Il pioche les mathématiques, mais, à Pâques, il visite l'Italie. Il prépare Polytechnique, mais il prend le temps de descendre, en bateau, le Rhin des burgs romantiques ... C'est cet équilibre constant entre le temporel, le matériel et le spirituel, les données du temps présent et les rêves de l'espérance qui va donner à ses engagements patriotiques une valeur symbolique et proprement gaullienne : la foi et la raison s'y conjuguent en permanence.

    Le 1er octobre 1923, deux mois après sa sortie de Polytechnique, l'élève Estienne d'Orves embarque sur la Jeanne. Et c'est le début d'une carrière navale exemplaire, d'une cascade d'embarquements: le Provence, le Jules-Michelet, le Condorcet, le Suffren, le Jean-Bart, le Foch, le Bison, bien d'autres, et, ainsi, les tours du monde en forme d'école buissonnière, les escales parfumées, les ports du mystère et, bien sûr aussi, les travaux d'aiguille pour mettre en concordance l'insigne du grade avec la promotion: enseigne de vaisseau, lieutenant de vaisseau, capitaine de corvette, capitaine de frégate ... Le capitaine de vaisseau J. L'Herminier, dont il fut le compagnon, se souvient: « Honoré avait au plus haut point le sens du voyageur, par sa culture et par sa curiosité humaine... J'admirais la courtoisie avec laquelle il s'adressait aux coolies: "Va, mon ami, au temple du Ciel". Il savait le dire en chinois ... »

    Au mois de juillet 1940, Honoré d'Estienne d'Orves se trouve à Alexandrie, sur le Duquesne, qui porte la marque de l'amiral Godfroy. Peut-on l'imaginer assistant, les bras croisés, à l'effondrement des forces françaises, à quoi fait écho la détermination du peuple britannique et d'une poignée de Français obstinés, groupés autour du général de Gaulle? Impensable! Et, le 6 juillet, un certain « Châteauvieux» (en hommage à une aïeule de caractère) adresse à la presse d'Aden un communiqué annonçant la création du 1er Groupe marin. Avec ses sept officiers et une cinquantaine de marins de l'escadre française d'Alexandrie, « le 1er Groupe marin répond à l'appel lancé, à la fois, par le général de Gaulle et par le gouvernement britannique : ils vont, en Angleterre, armer les bâtiments français qui s'y trouvent et qui manquent d'équipage, ou bien servir dans l'armée" de De Gaulle. Français, sachez bien que vos frères du Groupe marin se battent pour vous libérer, et que jamais ils n'abandonneront la lutte ».

    Mais, en 1940, on ne va pas d'Aden à Londres en ligne droite. Il va s'ensuivre une invraisemblable équipée, que précédera, comme il convient, les visites protocolaires aux autorités britanniques, l'équipement et l'armement; un, entrainement intensif aux armes du biffin et, Dieu merci, de nouveaux ralliements (des marins du Forban, de l'Athos-il, du Suffren, du Protée et d'ailleurs), qui, peu à peu, grossissent la troupe des candidats au « casse-pipe ». Le 19, on s'embarque sur l'Atenor, un bateau de six canons de 152. Direction: l'Erythrée. Et. .. retour à Aden. A Steamer's Point, au seuil du désert, on déploie les tentes sous un soleil de plomb. Où aller maintenant ? Et comment se rapprocher de la bataille? Ce sera Berbera, décident les Britanniques, et l'on se battra sur le front dégarni de la Somalie britannique. Le 2 août, les, voilà donc tous à bord du Jehangir, un assez vilain cargo charbonnier, venu de Bombay, et qui, en temps de paix, amène à La Mecque les pèlerins musulmans de l'Inde. Le 4, la côte est en vu. Le 5, au mouillage; l'aviation italienne attaque (de trop haut). Le 7, on appareille pour Mombassa... avec un millier d'Abyssins réfugiés au somali land et que l'on déposera au Kenya, pour qu'ils y attendent la fin de la guerre. On double Socotora, très au large de la Somalie italienne, on louvoie, on se traîne, on tire sur les cibles, on tue le temps, et le 20 - tout de même !- on accoste, on descend, on visite la ville et ... on réclame la suite!

    C'est l' Incomati, de la Bankline, qui va conduire le Groupe marin jusqu'à Durban, en république d'Afrique du Sud, avec arrêt-buffet à Beira, port de transit du Mozambique portugais, et Lourenço Marquez (les bateaux allemands sont là aussi, en pays neutre; alors on se cache). Les voilà au Natal, accueillis à bras ouverts. Mondanités, réceptions, emplettes ... Le 6, c'est par le train que le groupe rallie Le Cap et

    - on commençait à ne plus y croire ...

    - se hisse à bord de l'Arundel Castle, un luxueux paquebot de 19 500 tonnes de jauge brute. Coup de chapeau, en passant, à Sainte-Hélène, brève escale à Ascension et voici, au terme de ce tour d'Afrique à épisodes, voici les côtes anglaises qui émergent doucement de la brume ... Le Groupe marin est enfin à pied d'œuvre.

    « Il nous a montré la voie douloureuse ... »

    Honoré d'Estienne d'Orves et ses compagnons n'ont qu'un rêve en tête: rester ensemble, fraternellement soudés, sur un bâtiment de La Royale. Mais l'amiral Muselier, qui les reçoit à Londres, a surtout besoin d'officiers d'état-major, dont la mince cohorte de De Gaulle ressent cruellement le besoin. En conséquence de quoi, Honoré est affecté au 2e Bureau de l'Etat-major et, le 1 er octobre, il est nommé capitaine de corvette. Quelques jours plus tard, il demande et obtient son transfert chez Passy, qui dirige le Service de renseignement, et devient son adjoint.

    Il travaille d'arrache-pied. Le capitaine de vaisseau Wietzel (il deviendra amiral) témoignera plus tard, dans une lettre à Mme d'Estienne d'Orves: « Il nous a donné à tous un élan encore plus intense ... Il y avait, dans tout ce que faisait votre mari, une qualité et une résonance qui venaient de la conviction profonde de sa foi dans les destinées de son pays ... Il nous a montré la voie douloureuse au bout de laquelle a été la victoire ... »

    Mais Honoré ne tient pas en place. Les tâches statiques "et paperassières de l'Etat-major sont à l'opposé de son tempérament. Ce qu'il veut, c'est retourner en France, reprendre pied sur le terrain, agir lui-même et non par agent interposé. Le colonel Passy ayant été appelé à assumer temporairement les fonctions de chef d'Etat-major,

    Estienne d'Orves profite de ce que sa responsabilité nouvelle de chef du S.R. de la France libre lui donne accès aux dossiers pour découvrir l'existence d'un réseau baptisé« Nemrod », tout fraîchement mis sur pied. Il décide que son devoir est de se rendre sur place afin de développer, renforcer et pourvoir en moyens de liaison, radio en particulier, ce réseau embryonnaire.

    De Gaulle, d'abord réservé, finit par céder. Passy n'est pas plus enthousiaste: «Estienne d'Orves est trop confiant pour faire un agent secret. » Trop confiant ou trop pur ? Sait-il seulement que le mal et les méchants existent ? Néanmoins, il veut partir, et, comme rien ni personne ne lui résiste longtemps, il part. Accompagné d'un opérateur radio du nom d'Alfred Gaessler, pseudonyme «Georges Marty».

    Traversée sans histoire sur la bonne vieille Marie-Louise. Le fidèle Follic est à la barre. Le 22 décembre, dans la nuit, Estienne d'Orves et Marty sont accueillis par les Normand, dont la petite maison basse est l'étape obligée des résistants en transit. Le premier souci d'Honoré est de prendre contact avec les deux hommes qui l'ont précédé en France et qui ont jeté les bases de l'organisation: Maurice Barlier et le Néerlandais Yan Doormik. Pour Barlier, c'est facile: il réside à côté, à l'hôtel de la Ville-d'Ys. Le 24 au matin, Honoré, Marty et Barlier se rendent à Nantes et Estienne d'Orves fait la connaissance des autres membres de Nemrod, notamment les Clément, Le Gigan, Léon Sétout. Le même jour, Marty établit la première liaison radio avec Londres. Ça marche, on exulte! Il faut maintenant s'organiser. Le « commandant» répartit les tâches. Lui-même se rendra à Paris, cependant que Barlier prospectera Bordeaux et Vichy et que Le Gigan continuera de recruter sur Nantes et la région. Et ça marche encore ! Du 24 décembre 1940 au 21 janvier 1941, plus de soixante courriers seront expédiés par le canal de quatre ou cinq vacations radio hebdomadaires. C'est un flot d'informations militaires et économiques qui coule vers les Alliés, via la France libre, en même temps que prennent corps les actions offensives qui vont s'accroître de mois en mois et jeter le désordre dans le camp ennemi.



    A Paris, le « commandant» découvre que la Résistance s'est organisée plus vite qu'il ne le supposait. II rencontre, d'abord, Yves Doornik, le frère de Yan, puis Yan lui-même; et aussi Emilien Amaury, Jean de Turenne, Max André, Jean Letourneau, Max Heilbronn. Il va établir les liaisons avec ces pionniers de l'armée des ombres. Du bon, du très bon travail.
    A Nantes, Clément et Le Gigan sont très mécontents de Marty, que les filles et les bistrots intéressent visiblement plus que son émetteur. Estienne d'Orves lui laisse une dernière chance avant de le ramener à Londres. Il ne sait pas qu'en ce bas monde « un bienfait est souvent puni » ... Car, le 19 janvier 1 941, Alfred Gaessler, alias Georges Marty, se présente à la Nebenstelle de Nantes, antenne des services du contre-espionnage allemand, l'Abwehr, basés à Angers. Au Kapitan Korvetten Pussbach, il déclare: « J'appartiens à un réseau de renseignement au profit des Britanniques, dont je suis le radio. En tant qu'Alsacien et germanophile, j'estime de mon devoir de dénoncer cette organisation d'espionnage.» Et il donne les noms et adresses des trente-quatre membres du réseau, les codes radio employés et tous les détails de l'organisation.

    «Je vous couvre tous ... »

    Les Allemands se mobilisent. Le colonel Dernbach connaît son métier et, grâce à Marty, qui continue d'émettre vers Londres des messages d'intoxication rédigés par l'Abwehr, il piste tous les agents de Nemrod et ferme, l'une après l'autre, toutes les souricières. Le Gigan, Clément, Sétout, Chanvert, Dohet et Maurice Barlier sont arrêtés. Le 5 février, Yan Doornik, de retour de Londres, est ceinturé chez les Normand. La nasse est pleine, mais Dernbach en veut davantage. Il fait réclamer, par Marty, un second opérateur radio et, le 14 au matin, Follic embarque, à Newlyn, le radio Jean-Jacques Leprince, mais aussi Pierre Cornec, Yves Pennec, Martial Bizien, Amédée Ansquer et Maurice Guilcher. Les patrouilleurs allemands les attendent près de la côte et les hommes de la Marie-Louise se retrouvent dans la prison du Cherche-Midi. Le 26 février, d'Estienne d'Orves, les Clément, Barlier; Dohet, Sétout, Chauvet et Le Gigan les y rejoignent. Le réseau parisien, lui, n'a pas trop souffert car les coupe-circuits ont bien fonctionné. Mais la trahison de Marty a jeté derrière les barreaux vingt-six résistants de la première heure avant que Londres, enfin alerté, mette un point final au Funkspiel organisé par Dernbach. (Par la suite, les radios clandestins furent munis d'un mot code, qui, s'il ne figurait pas en tête de leurs messages, signifiait qu'ils avaient été pris et se trouvaient manipulés.

    En retour, Londres leur envoyait alors des informations bidons et des instructions vagues, pour les maintenir en vie).

    Le procès des membres du réseau Nemrod s'ouvre le 13 mai 1941, en l'hôtel particulier où s'est installée la cour martiale du « Gross Paris », 23, rue Saint-Dominique. Il va durer quatorze jours. De sa cellule, le commandant a donné ses instructions à ses compagnons d'infortune: « Vous avez tous fait votre devoir. Il vous en reste deux à remplir: sauver les camarades qui ne sont pas arrêtés et sauver vos têtes, à cause de vos familles. Ne faites pas de patriotisme cocardier : cherchez et trouvez des alibis; faites-les moi connaître, je les confirmerai et je vous couvre tous. Mettez tout sur mon compte, autant que possible. »

    Certains êtres ne se révèlent que dans la mort. Mais, devant la mort, Henri Louis Honoré comte d'Estienne d'Orves est égal à lui-même ...

    Neuf des accusés furent condamnés à mort. Ils méritent que leurs noms soient rappelés: le commandant d'Estienne d'Orves, Maurice Barlier, Y Doornik, M. Le Gigan, André Clément et sa femme, J.J. Leprince, J.F. Follic et Pierre Cornec. Pour les autres, la peine allait des travaux forcés à perpétuité à six mois de prison. Deux furent acquittés et quatre bénéficièrent d'un non-lieu. A l'instant de prononcer les sentences, le président Roskoten tint à faire une déclaration liminaire: « Le tribunal se trouvait en face d'une tâche lourde. Il fallait juger des hommes et des femmes qui s'étaient manifestés comme des personnes de mérite et d'une grande fermeté de caractère, et qui n'ont agi que par amour de leur patrie ...

    Pour Honoré d'Estienne d'Orves, la page terrestre était tournée. Et ce 29 août 1941, très droit devant les soldats qui épaulaient leur fusil, il n'était déjà plus de ce monde ...

    Tel fut donc Honoré d’Etienne d’Orves, homme de foi et de traditions, homme de devoir et de courage

      

    SOURCES : article écrit par BAD BOY -  http://patrianostra.forum-actif.eu/t234-honore-d-estienne-d-orves

      

     

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