• L'inconnue de la Seine.....

     

    L’inconnue de la Seine



    Dans la version de l’histoire la plus communément admise, l’Inconnue de la Seine (dite aussi « Vierge du Canal de l’Ourcq ») est le surnom attribué à une toute jeune femme anonyme, repêchée dans la Seine aux alentours de 1880.

    En plus de ses traits harmonieux, la noyée avait cette particularité d’avoir, figé sur son visage, un demi-sourire évocateur d’une extrême sérénité face à la mort ou d’un état proche de la rêverie. La belle indéchiffrable impressionna grandement les observateurs de l’époque, au point qu’un témoin anonyme (probablement un employé de la morgue) réalisa un moulage mortuaire à partir de son visage, perpétuant en cela la tradition séculaire du « dernier portrait » avant la mise en bière.

     

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    On n’apprit jamais ce qui, du suicide, du meurtre ou de l’accident avait précipité la jeune femme dans les eaux du canal mais au début du XXème siècle, de nombreuses copies du masque circulaient en tant qu’ornement populaire, et il n’était pas rare de croiser le sourire de l’Inconnue de la Seine aux murs des maisons d’artistes ou au chevet des jeunes filles de la bourgeoisie.

    Image d’une félicité mystérieuse et peut-être amusée face à la mort, mais aussi et surtout, figure poétique d’une inconnue chérie et à jamais perdue, en laquelle chacun peut reconnaître une femme aimée, une sœur, une amante ou encore une fille, l’Inconnue de la Seine a progressivement été érigée en mythe littéraire.

    « Quand je résidais à Eze, dans la petite chambre (agrandie par une double perspective, l’une ouverte jusqu’à la Corse, l’autre par-delà le Cap Ferrat) où je demeurais le plus souvent, il y avait (elle y est encore), pendu au mur l’effigie de celle qu’on a nommée « l’inconnue de la Seine » une adolescente aux yeux clos, mais vivante par un sourire si délié, si fortuné (voilé pourtant), qu’on eût pu croire qu’elle s’était noyée dans un instant d’un extrême bonheur. Si éloignée de ses œuvres, elle avait séduit Giacometti au point qu’il recherchait une jeune femme qui aurait bien voulu tenter à nouveau l’épreuve de cette félicité de la mort. »
    Maurice Blanchot (1907-2003), Une voix venue d'ailleurs, 1992.

    Figure votive chez les surréalistes, Aragon lui offre une place centrale dans son roman Aurélien, s’adressant à Man Ray en 1966 pour augmenter la réédition du livre d’une quinzaine d’illustrations photographiques réalisées à partir du moulage.

     

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    L'inconnue de la Seine, photographie du moulage par Man Ray pour Aurélien d'Aragon

     

     



    De même, des auteurs aussi significatifs que Vladimir Nabokov, Jules Supervielle ou Rainer Maria Rilke comptent parmi les artistes sur lesquels cette muse absolue, car rendue infaillible par sa mort, a exercé une véritable fascination.

    Le personnage de l'unique roman du poète allemand Rainer Maria Rilke (1875-1926), Les carnets de Malte Laurids Brigge, publié en 1910, dit : « le mouleur que je visite chaque jour a deux masques accrochés près de sa porte. Le visage de la jeune qui s'est noyée, que quelqu'un a copié à la morgue parce qu'il était beau, parce qu'il souriait toujours, parce que son sourire était si trompeur ; comme s'il savait. »

    Jules Supervielle publie en 1929 « L'Inconnue de la Seine » (repris en 1931 dans L'Enfant de la haute mer), un conte où une jeune femme noyée dans la Seine dérive jusqu'au fond de l'océan où elle doit apprendre à vivre avec les autres noyés. Extrait :

    « L'Inconnue de la Seine ne quittait pas sa robe, même pour dormir ; c'est tout ce qu'elle avait sauvé de sa vie antérieure. Elle utilisait les plis et la mouillure du vêtement qui lui donnaient une miraculeuse élégance au milieu de toutes ces femmes dépouillées. Et les hommes auraient bien voulu connaître la forme de sa gorge.

    La jeune fille, qui voulait se faire pardonner sa robe, vivait à l'écart, avec une modestie un peu trop apparente peut-être, et passait sa journée à récolter des coquillages pour les enfants ou pour les plus humbles et les plus mutilés d'entre les noyés. Elle était toujours la première à saluer et s'excusait souvent, même s'il n'y avait pas lieu.

    Chaque jour le Grand Mouillé venait lui rendre visite, et ils restaient là tous deux avec leurs phosphorescences, comme des morceaux de la Voie lactée chastement allongés l'un près de l'autre.

    — Nous ne devons pas être bien loin de la côte, dit-elle un jour. Si je pouvais remonter le fleuve, entendre quelques bruits de la ville, ou simplement la cloche d'un tram qui a du retard au milieu de la nuit.

    — Pauvre enfant, mauvaise mémoire, oubliez-vous que vous êtes morte et que vous vous exposeriez à être enfermée là-haut dans la plus odieuse des prisons ? Les vivants n'aiment pas que nous errions et nous punissent vite de nos vagabondages. Ici, vous êtes libre, à l'abri.

    — Vous ne pensez donc jamais, vous, aux choses de là-haut ? Elles viennent souvent à moi, une à une, et sans aucun ordre, ce qui me rend très malheureuse. En ce moment même voici une table de chêne, bien vernie mais toute seule. Elle disparaît et voici venir l'oeil d'un lapin. Et maintenant c'est l'empreinte d'un pied de bœuf dans le sable. Tout cela semble s'avancer en ambassade et ne me dit rien d'autre que sa présence. Et quand les choses viennent à moi par deux, elles ne sont pas faites pour aller ensemble. Ici, je vois une cerise dans l'eau d'un lac. Et que voulez-vous que je fasse de cette mouette dans un lit, de ce perdreau sur le verre de cette grande lampe qui fume ? Je ne connais rien de plus désespéré. Ces fragments de la vie, sans la vie, est-ce donc là ce qu'on nomme la mort ? (…) ».

    Après les années 40, le masque de l’Inconnue de la Seine tomba petit à petit dans l’oubli.

    L'histoire singulière de l'Inconnue de la Seine s'arrêterait là si quelqu’un n’avait pas eu l’idée, aux Etats-Unis, d’utiliser son visage pour « Rescue Annie« , un mannequin très populaire d’apprentissage des premiers secours. Il fut créé en 1958 et utilisé à partir de 1960 pour de nombreux cours et examens. Certains disent alors que le visage de l’Inconnue est peut-être le plus « embrassé » de tous les temps… Drôle de destin !

      

    sources :http://jmomusique.skynetblogs.be/tag/litterature

    Jean-Marc OnkelinxMusicologue-conférencier Conseiller musique classique à la Fnac de Liège (Belgique) Professeur d'histoire de la musique

     

     

     

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