•  

    La "naissance de l'histoire" et les prémices de la mode historiciste

     

    Gabrielle d'Estrées évanouie en présence d'Henri IV et de Sully,
    par François André Vincent, vers 1783-1787,
    Musée de Fontainebleau, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    Au XVIIIe siècle, même si l'état d'esprit change, qu'il se veut moins mythique, plus scientifique, on a du mal à penser le passé, le sentiment d'histoire reste peu clair. Cependant, à partir de 1774, le comte d’Angiviller, directeur général des Bâtiments royaux, s'efforce de renouveler la peinture d'histoire pour "ranimer la vertu et le sentiment patriotique des Français". On est pourtant encore à vingt-cinq ans de la Révolution française…

     

    ▲Don Pedro de Tolède baisant l'épée d'Henri IV,
    par Jean Auguste Dominique Ingres, 1832,
    Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    C'est à cette époque que Henri IV – le "bon roi Henry" et le célébrissime épisode de "la poule au pot" – devient un sujet à la mode ; il le restera fort longtemps. Déjà, en 1728, Voltaire a fait paraître son épopée La Henriade, qui fera l’objet de nombreuses réimpressions. Tous les peintres, de Roslin à Ingres vont s'emparer de ce thème historique fondamental. On se documente, on fait des recherches. Par exemple, la curiosité de Fragonard pour l'époque ancienne est quasi encyclopédique. Ainsi la société lettrée du XVIIIe siècle se familiarise-t-elle avec les personnages habillés à la mode de 1600-1610, elle se fait portraiturer "à la mode ancienne" ou "à l'espagnole".

     

    ▲à g. : Portrait de Marie Madeleine Guimard, par Jean Honoré Fragonard, 1769,
    Musée du Louvre sur Wikipédia
    à dr. : Portrait d’Anne François d’Harcourt, duc de Beuvron, par Jean Honoré Fragonard, vers 1770,
    Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    ▲Portrait équestre de Henri IV, par Jean Baptiste Mauzaisse, 1821,
    Musée national du Château de Pau, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    ▲à g. : Portrait équestre de Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie (détail),
    par le baron Antoine Jean Gros, 1808,
    Musée du Château de Versailles, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
    à dr. : Napoléon Ier sur le trône impérial en costume de sacre (détail),
    par Jean Auguste Dominique Ingres, 1804-1806,
    Musée de l’Armée, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    Au début du XIXe siècle, l'histoire est considérée comme une discipline intellectuelle à part entière, les historiens se professionnalisent, on fonde en 1808, les Archives nationales, et en 1821 l'Ecole Nationale des Chartes, première grande institution pour l'enseignement de l'histoire. Par ailleurs, on se passionne en France pour la peinture hollandaise (même si Vermeer n'est pas encore connu), on redécouvre Rubens. En Angleterre, la situation est comparable, mais c'est la peinture de Van Dyck qui fournit des modèles à la société anglaise. On s'habille pour se faire peindre. A travers les beaux-arts, les ouvrages publiés et leurs gravures, on s'habitue à voir des gens vêtus en costumes historiques.

     

    ▲Jeune femme en robe blanche, par James Northcote, 1795,
    Victoria & Albert Museum , Londres

    Toutes ces tendances se combinent et se développent sur fond de néoclassicisme qui s'inspire de l'Antiquité (à la mode depuis la découverte des sites d’Herculanum et de Pompéï en 1738 et 1748) que la rupture de la Révolution française va accentuer. J'ai déjà eu l'occasion de vous raconter comment la robe blanche est apparue dans la mode à la fin du XVIIIe siècle, et a poursuivi son évolution vers le style antique après la Révolution [Lire : La robe blanche]

     

    Le renouveau de la fraise sous le Consulat et l’Empire

     

    C'est dans ce contexte historiciste – on appelle "historicisme" ce qui qualifie des mouvements qui se ressourcent dans les styles du passé – que réapparaît la fraise, certes plus souple qu'aux XVIe et XVIIe siècles. Elle va à nouveau connaître un grand succès, sa mode va durer plus de trente ans.

     

    ▲Portrait de jeune femme, par Elisabeth Louise Vigée Lebrun, vers 1797,
    Museum of Fine Arts, Boston sur Web Gallery of Art

    ▲Portrait de Mademoiselle Récamier, par Antoine Jean baron Gros, vers 1795,
    Galeria Zagreb sur Web Gallery of Art

    À la fin du Consulat (1799-1804), la robe, toujours à taille haute, se raidit, on utilise des tissus plus lourds comme le satin et le velours, la coupe et l'ornementation deviennent plus complexes. Après 1808, les corsages sont montants, une petite fraise entoure le cou. Cette mode va prendre un essor considérable sous l’Empire (1804-1815).

     

    ▲à g. : Portrait d’inconnue, Ecole française, vers 1805,
    Musée Condé, Chantilly, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
    à dr. : collerette fraise en coton, Angleterre, vers 1807,
    The Metropolitan Museum of Art , New York

    ▲à g. : Fichu de soie à collerette, planche des Costumes Parisiens, 1811.
    Noter : la manche rappelle aussi les détails de la mode Renaissance
    à dr. : Portrait d’Isaline Fé, par Firmin Massot, Musée d’Art et d’Histoire, Genève

    ▲à g. : Col fraise sur robe blanche, planche des Costumes Parisiens, 1811,
    Châteaux et Musées de Malmaison et Bois-Préau
    à dr. : Portrait présumé de Hannah More, femme de lettres anglaise, début XIXe siècle,
    Musée du Louvre, reproductions RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    ▲Portrait de la comtesse de Tournon, née Geneviève de Seytres Caumont,
    par Jean Auguste Dominique Ingres, 1812,
    Philadelphia Museum of Art sur The Metropolitan Museum of Art., New York
    Malgré ses soixante ans, la comtesse est une vraie "fashionista",
    elle porte la fraise et le châle en cachemire, les deux "must have" de l'époque.

    ▲ à g. : Guimpe, vers 1800, The Metropolitan Museum of Art , New York
    à dr. : Portrait de Madame de Senonnes, par Jean Auguste Dominique Ingres, 1814,
    Musée des Beaux-Arts de Nantes, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    à g. : Guimpe de l’impératrice Joséphine, vers 1800,
    Châteaux et Musées de Malmaison et Bois-Préau, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
    à dr. : Portrait de Madame Philippe Lenoir, par Horace Vernet, 1814,
    Musée du Louvre

    ▲ à g. : Portrait de Mademoiselle Jeanne Hayard, par Jean Auguste Dominique Ingres, 1815,
    collection privée sur Art Renewal Center Museum
    à dr. : Portrait de Lina, fille de l’artiste, par Friedrich Carl Gröger, 1802,
    Hamburger Kusthalle, Hambourg sur Wikipedia

    Le canezou à col fraise se porte sur ou sous le corsage ou la robe.

     

    ▲ à g. : Fichu et fraise, planche de La Belle Assemblée, 1817
    sur Candice Hern’s Regency World
    à dr. : Les trois dames de Gand (en réalité de Vichte), portraits d'Isabelle Rose van Tieghem,
    femme d'Anselme Morel de Tangry, échevin de Courtrai, et de deux de ses filles,
    Ecole française (autrefois attribué à Jacques Louis David), 1818,
    Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

     

    La mode néogothique reconduit la fraise

     

    Du point de vue de l’histoire du costume, il n’y a pas de rupture entre l’Empire et la Restauration. Les robes à taille haute continuent de s’alourdir en tissu et en ornementation. Plus que jamais, on se réfère à la tradition, la popularité de Henri IV ne faiblit pas, dont la famille royale revendique sa légitimité.

     

    ▲à g. : Portrait de Charles Ferdinand d’Artois, duc de Berry,
    représenté en costume de prince François devant un buste d'Henri IV,
    par le baron François Pascal Simon Gérard, 1819,
    Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles
    à dr. : Scène de la naissance du duc de Bordeaux (petit-fils de Charles X),
    dans la tradition de celle d'Henri IV, par Frédéric Lignon (graveur)
    d’après Alexandre Evariste Fragonard (peintre), 1820,
    reproductions RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    Par ailleurs, dès 1810, on remarque en Angleterre une influence de la littérature romantique qui met en vogue le Moyen Âge et la Renaissance (on ne fait alors pas de différence entre les deux périodes), comme les romans de Walter Scott. Ce mouvement qualifié de néogothique, ou encore de style troubadour, mettra quelques années pour arriver en France – vers 1830, les romans et les pièces de théâtre de Victor Hugo seront la source d'inspiration de nombreux artistes.

     

    ▲à g. : Mort d'Elisabeth, reine d'Angleterre, par Paul Delaroche, vers 1830,
    Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public
    surAgence photographique de la Réunion des musées nationaux
    à dr. : Portrait d'Amélie de Leuchtenberg, par Karl Josef Stieler, vers 1830,
    Châteaux et Musées de Malmaison et Bois-Préau sur Base Joconde

    ▲à g. : Marie Stuart, reine de France et d'Ecosse, représentée couronnée,
    portant le chaperon et le voile blanc du deuil, par Joseph Albrier, 1835,
    Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles, reproduction RMN,
    statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
    à dr. : La duchesse du Berry au château de Blaye, peintre anonyme, vers 1832-1833,
    collection Janvrot, Musée des Arts décoratifs

    Dans les milieux légitimistes, après l’assassinat du duc de Berry (fils de Charles X et père du duc de Bordeaux, "enfant du miracle" né à titre posthume), et même encore après l'avènement de Louis-Philippe, on insiste sur le lien entre la duchesse Caroline de Berry et Marie Stuart. Plus jeune, plus charmante, plus joyeuse que sa belle-sœur la duchesse d'Angoulême (malheureuse fille de Louis XVI), la duchesse de Berry, très sensible à la mode, qui a lancé par exemple la vogue des bains de mer, est très populaire – aujourd'hui elle ferait la une de tous les magazines "people". Les plus belles fêtes de la Restauration sont celles organisées par la duchesse.

     

    Les derniers moments du duc de Berry dans la salle de l'ancien opéra, (détail),
    par Alexandre Menjaud, 1824, Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, Versailles,
    reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    Ainsi le 2 mars 1829, la duchesse organise aux Tuileries un bal costumé très brillant qui recrée la présentation de l’épouse de François II à la Cour de France en 1558, chaque participant contemporain incarnant un personnage historique. On a exhumé pour l'occasion des documents conservés à la Bibliothèque royale (ex-nationale). On s'en inspire, on mélange les genres, ce qui est typique du style troubadour : collerettes à la Médicis, manches énormes, fraises… On parle de Marie Stuart, on publie des dessins originaux qu'on décore d'entrelacs et d'écus "comme au Moyen Âge". Tous les épisodes de la soirée sont tracés sur aquarelle par le peintre Eugène Lami pour réaliser un album de vingt-huit lithographies distribuées aux invités, abondamment reproduites dans la presse. Cet événement mondain, qu'on appelle "le quadrille de Marie Stuart", a un énorme retentissement public.

     

    ▲à g. : Le quadrille de Marie Stuart, par Achille Dévéria
    à dr. : Parure de la duchesse de Berry, évoquant le quadrille de Marie Stuart,
    d'après les aquarelle de Eugène Lami, vers 1829-1830, collection Janvrot,
    Musée des Arts décoratifs, Bordeaux

    De telles fêtes en costumes – outre leur rôle dans le culte passéiste de la monarchie absolue et de son cérémonial, dans lequel la duchesse de Berry a un rang à tenir – contribuent à faire imposer la Renaissance comme source d’inspiration principale pour la mode, ce qu’illustre parfaitement la fraise.

     

    ▲Portrait de Mademoiselle Jeanne Suzanne Catherine Gonin,
    par Jean Auguste Dominique Ingres, 1821,
    The Taft Museum, Cincinnati, Ohio sur Wikipedia

    ▲à g. : La famille Begas (détail), par Karl Josef Begas, 1821,
    Wallraf Richartz Museum, Cologne sur Wikipedia
    à dr. : Portrait de Maria Clarissa Leavitt, par Samuel Lovett Waldo, vers 1820-1825,
    The Brooklyn Museum, New York

    ▲à g. : Fichu pélerine garni d'une fraise, planche des Costumes Parisiens, 1826
    à dr. : Portrait de Marie J. Lafont-Porcher, par François Joseph Kinsoen, 1835,
    Groeninge Museum, Bruges sur Web Gallery of Art

    ▲à g. : Portrait de Madame Henri François Riesener (née Félicité Longrois), par Eugène Delacroix, 1835,
    The Metropolitan Museum of Art, New York

    La fraise du début du XIXe siècle ne se veut pas un pastiche de la mode Renaissance, mais juste un clin d'oeil. De tous temps, la mode se nourrit d'emprunts, de copies, de références, de citations, qui se combinent en réponse à des raisons esthétiques, artistiques et même, on l'a vu, politiques. Ces nouvelles formes sont réactualisées, les techniques renouvelées. Bien amenées, elles s'intègrent à la mode du temps, et, comme la fraise, peuvent durer très longtemps.

      

    SOURCES : merveilleux blog de "Les petites mains"

    http://les8petites8mains.blogspot.com/search/label/Empire

    Delicious Yahoo! Pin It

    votre commentaire
  •  

    ▲Bal donné au Louvre en présence d'Henri III et de Catherine de Médicis pour le mariage d'Anne,
    duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine-Vaudémont (soeur de la reine Louise), le 24 septembre 1581,
    Ecole française, Musée du Château de Versailles sur Agence photographique de la RMN

    A partir des années 1570, sous l’influence de la contre-réforme catholique et de l'extravagance raffinée du roi Henri III (avènement en 1574), la mode et le luxe se développent à la cour de France - il est peut-être utile de rappeler ici que la mode de la fraise est une mode de cour, portée uniquement par l'aristocratie. Le roi, qui a beaucoup voyagé, ne serait-ce que pour revenir de Pologne en passant par l'Italie, à la mort de son frère Charles IX, a une passion de la mode et des nouveautés.

    ▲à g. : Portrait de Henri III, d'après François Clouet, vers 1570,
    Musée Condé, Chantilly sur Agence photographique de la RMN
    au centre : Portrait de Hercule-François, duc d'Alençon, Ecole française, 1572,
    National Gallery of Art, Washington
    à dr. : Portrait de Henri roi de Navarre, Ecole française, vers 1575,
    Musée national du château de Pau sur Agence photographique de la RMN

    En France, la fraise se développe d’abord en hauteur, jusqu'à la fin des années 1575, entourant le cou et le bas de la tête de ses de godrons réguliers superposés, amidonnés, de plus en plus grands, sur une ou plusieurs rangées. Elle est très ornementée de passements[dentelles], de broderies et de fils d'or, parfois échancrée, et devient un élément ostentatoire du costume.

    ▲Portrait de Marguerite de Valois, Ecole de François Clouet, 1572,
    Musée des Beaux-Arts, Blois sur Wikipédia

    ▲Portrait de l'infante Eugenia Isabella Clara,
    fille de Philippe II d'Espagne et de Isabelle de Valois,
    par Sofonisba Anguissola, vers 1573,
    Galleria Sabauda, Turin, sur Wikipédia

    ▲Portrait du prince Ferdinand d'Espagne, par Alonso Sanchez Coello, 1575,
    The Walters Art Museum, Baltimore<

    ▲Jeune garçon tenant un livre et une fleur, par le Maître du comté de Warwick, 1576,
    The Weiss Gallery, Londres

    On est envahi par la folie des grandeurs

    Puis la fraise s'étend en largeur, le roi inaugure, en 1578, une fraise immense de " quinze lés de mousseline et d'un demi-pied de largeur " qui fait sensation. Ces excentricités font l'objet de railleries de la part du peuple, on les nomme " plateau de Saint-Jean ", ou " roue de charrette ", ou encore " meule de moulin ". Pierre de L'Estoile écrit dans son journal : " A voir la tête d’un homme sur ces fraises, il semblait que ce fût le chef [tête] de Saint-Jean sur un plat " – en référence au supplice de Saint Jean-Baptiste dont la tête fut présentée à Salomé sur un plateau. Elle reprendra des proportions plus raisonnables sous le règne de Henri IV (avènement en 1589).

    ▲à g. : Portrait de Henri III, Musée Narodowe, Varsovie
    sur Les derniers Valois
    à dr. : Portrait de Henri III, anonyme, d'après François Quesnel, vers 1585,
    Kunsthistorisches Museum, Vienne

    On raconte qu'au carnaval de la foire de Saint-Germain, des étudiants se sont promenés affublés de fraises en papier et criant : " A la fraise on connaît le veau ! " ; Henri III n'ayant pas goûté la plaisanterie, ils se sont retrouvés emprisonnés au Châtelet. On dit aussi que cette mode est à l'origine de l'essor de la fourchette. De fait, cet ustensile rapporté d'Italie par Catherine de Médicis ne trouve son succès que sous le règne de Henri III. Le roi l'apprécierait car elle lui permettrait de porter les aliments à la bouche sans tacher son ample fraise, il l'affiche dans son restaurant préféré, l'Hostellerie de la Tour d'Argent (actuelle Tour d'Argent à Paris).

    ▲Bal à la cour des Valois, et détail à g., Ecole française, vers 1580,
    collection Robien, Musée des Beaux-Arts, Rennes sur Agence photographique de la RMN

    ▲à g. : Portrait de Henri de Lorraine, duc de Guise, par François Quesnel, 1580, Musée Carnavalet
    à dr. : Portrait de Antoinette d'Orléans, duchesse de Retz,
    Ecole française, vers 1596, sur Agence photographique de la RMN

    Mon propos n'est pas de vous décrire, décennie par décennie, pays par pays, l'évolution de la fraise, qui se développe ici et là en largeur ou en hauteur, mais d'en dégager quelques allures générales. Chaque pays a sa fraise plus ou moins typique : en France, elle est donc plutôt unie, à un rang de tuyaux, ronds ou ovales, parfois fermée, plutôt développée en largeur ; en Angleterre et en Espagne, elle est ornée de dentelle, et souvent plus haute derrière que devant ; en Flandre, elle est plutôt haute et fermée…

    Une mode d'un raffinement extrême

    C'est en Angleterre qu'on trouve, au XVIe siècle, les formes de fraises les plus variées. Dès 1560, des fraises à larges godrons sont présentes dans les portraits, un édit datant de 1562 en limite la largeur à quatre pouces (dix centimètres environ) de chaque côté du visage, des gardes placés aux portes des villes rognent les fraises des contrevenants ! Mais comme partout, à tous les siècles, édits et lois somptuaires triomphent rarement de la mode. La fraise anglaise atteint ses dimensions maximum en 1585. Au lieu d'un seul rang de tissu froncé, elle présente plusieurs rangs superposés, parfois avec des plissés différents. La dentelle très légère, finement représentée par les délicates miniatures de Nicholas Hilliard , y est aussi plus fréquente qu'en France.

    ▲Portrait de femme, miniature par Nicholas Hilliard, 1585-1590,
    Victoria & Albert Museum, Londres

    La reine Elisabeth 1e, qui met habilement en scène son statut de " reine-vierge " en se plaçant au-dessus de la condition féminine commune, pour devenir une icône idéalisée et glorifiée, utilise à son profit la marque de distinction de la fraise. Elle va jusqu'à ajouter au port de la fraise une légère mais imposante conque de mousseline amidonnée, parfois même assortie d'un mantelet transparent.

    ▲à g. : Portrait de Elisabeth 1e, Ecole anglaise, vers 1550,
    collection privée sur The Bridgeman Art Library, Londres
    à dr. : Le couronnement de la reine Elisabeth 1e en 1559,
    Ecole anglaise, copie de l'original perdu, 1600, National Portrait Gallery, Londres

    ▲Portrait de Elisabeth 1e, (détails), Ecole anglaise, vers 1570
    sur Wikipedia

    ▲Portrait de Elisabeth 1e (détails), par Nicholas Hilliard, 1575-1576,
    National Portrait Gallery, Londres

    ▲à g. : Portrait de Elisabeth 1e, attribué à Federico Zuccaro, vers 1575,
    National Portrait Gallery, Londres
    au centre : Portrait de Elisabeth 1e, par Nicholas Hilliard, vers 1575,
    collection privée sur Luminarium
    à dr. : Portrait de Elisabeth 1e, attribué à George Gower, 1579,
    collection privée Folger Shakespeare Library sur Luminarium

    ▲Portrait de Elisabeth 1e, détails, attribué à George Gower, 1580,
    collection privée sur Wikipedia

    ▲Portrait de Elisabeth 1e, détail, attribué à Cornelius Ketel, vers 1580-1583,
    Pinacotea Nationale, Sienne sur Luminarium

    ▲Portrait de Elisabeth 1e, détails, Ecole anglaise, vers 1585-1590,
    National Portrait Gallery, Londres

    ▲Portrait de Elisabeth 1e (détails), par Marcus Gheeraerts, vers 1585-1590,
    collection privée sur Wikipedia

    ▲Portrait de Elisabeth 1e, détails, par John Bettes, vers 1585-1590,
    collection privée sur Wikipedia

    ▲Portrait de Elisabeth 1e, détails, Ecole anglaise, 1590,
    Jesus College, Oxford sur Wikipedia>

    ▲Portrait de Elisabeth 1e (détail), par Isaac Oliver, vers 1600-1602,
    Hatfield, Hertfordshire sur Wikipedia

      

    sources : http://les8petites8mains.blogspot.com/search/label/Elisabeth%201e%20d%27Angleterre

     

    Delicious Yahoo! Pin It

    votre commentaire
  •   

      

    La Fête champêtre, par Dirck Hals, 1627 Rijcksmuseum, Amsterdam

    D'où vient la mode de la fraise ?

    Sauf à dire qu'elle est née du petit rucher qui borde la chemise au XVIe siècle [Lire fraise (1)] , les historiens ne se prononcent guère sur l'origine de la fraise. Elle ne serait pas une invention européenne, mais inspirée de cols de mousseline empesée d'eau de riz portés en Inde, reprise par les Hollandais. Cette mode s'est ensuite répandue sur toute l'Europe occidentale par l'intermédiaire des marchands.

     

    Banquet de noces présidé par les Archiducs (détail), par Jan Brueghel l'Ancien,
    vers 1612 Musée national du Prado, Madrid

    Dans son Histoire du costume en Occident, François Boucher écrit : "Des Européens venus aux Indes et à Ceylan dès le début du siècle ont pu être frappés par les grands cols de mousseline empesés à l'eau de riz (dont l'usage est déjà mentionné dans le Livre des Lois de Manou) qui, dans ces pays, protègent les vêtements du contact des longs cheveux huilés. Ce mode d'empesage aurait été rapporté aux Pays-Bas, d'où il serait passé en Angleterre – il y était déjà employé en 1564 – et naturellement en Espagne."

    Une mode luxueuse qui requiert du savoir-faire

    Objets de luxe, les fraises sont extrêmement coûteuses. Leur confection requiert un métrage de toile de lin ou de batiste particulièrement fine, pouvant atteindre les quinze mètres. Et même si la main d'œuvre coûte moins cher qu'aujourd'hui, leur fabrication compliquée et délicate ne peut être réalisée que par des couturiers très qualifiés, qui y passent beaucoup de temps. Une anecdote raconte qu'un courtisan de Louis XIII acquiert une fraise dont la valeur atteint celle de "vingt-cinq arpents d’excellents vignobles" !

    ▲Portrait de la reine Elisabeth I d'Angleterre (dit de l'Armada),
    par George Gower, vers 1588, Woburn Abbey, sur Wikipedia

    Les fraises sont en outre plissées, tuyautées, godronnées, empesées. Leur entretien nécessite aussi des spécialistes. On sait par exemple que la reine Elizabeth I d'Angleterre a engagé une Flamande pour préparer ses fraises, qu'elle possède en grand nombre. Certaines, décrites avec précision, figurent, ainsi que le nom du donateur, sur la liste des cadeaux que la reine reçoit chaque année au Nouvel An.

    ▲Caricature du début du XVIIe siècle représentant des singes
    portant et entretenant des fraises (détails).
    On y voit notamment le lavage, le séchage, l'empesage et le repassage.
    Bayerisches Nationalmuseum, Munich

    Après lavage, empesage et séchage, les tuyaux empesés et godronnés sont dressés grâce à des outils spéciaux, chauffés sur un poële, à une température suffisamment chaude pour être efficace, mais qui ne doit pas non plus brûler le tissu fragile. On utilise notamment un fer long de forme arrondie, et un outil en forme de pipe ou de poire. Ces techniques, utilisées jusqu'au XXe siècle pour le repassage des coiffes ou autres articles délicats, demande une très grande habileté de la part de la lingère ou de la repasseuse.

    ▲à g. : Portrait de Richard Goodricke of Ribston, par Cornelis Ketel,
    1578-80 The Weiss Gallery, Londres
    à dr. : Schéma de technique de repassage des godrons
    source : blog carlynbeccia

    ▲à g. : Fraise en lin, vers 1620-1629,
    Victoria & Albert Museum, Londres
    à dr. : Portrait de jeune garçon, par Jacob Willemsz Delff, 1581
    Rijksmuseum, Amsterdam

    Au XVIe siècle, l'invention des aiguilles d'acier donne un essor nouveau aux broderies "reticelli" et aux dentelles "punto y aria" qui vont orner la fraise et la rendre encore plus luxueuse. Ce savoir-faire est celui de femmes travaillant le plus souvent à domicile, mais il est aussi de bon ton, dans l'aristocratie, de s'adonner à ce passe-temps nouveau, à l'aide de livres de modèles qu'on s'offre. Ainsi Catherine de Médicis pratique l'art de l'aiguille, qu'elle enseigne à sa belle-fille Marie Stuart.

    ▲à g. : Bordure de dentelle, Italie, vers 1600-1620,
    Victoria & Albert Museum, Londres
    à dr. : Portrait de Christine de Lorraine, Ecole française,
    Galerie des Offices, Florence,
    reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

     

    La Joyeuse Compagnie musicienne, par Dirck Hals, 1623,
    collection privée sur Web Gallery of Art

    Une mode exigeante et difficile à porter

    Ces fraises à simple, double ou triple rang, bordées de hautes dentelles empesées comme le corps de la fraise elle-même, qui demandent d'énormes métrages de tissu, sont bien sûr, en plus d'être encombrantes, lourdes à porter, malgré leur finesse. Aussi va-t-on imaginer toutes sortes de techniques pour les soutenir et alléger les épaules et le cou.

    Parfois, seul le col relevé du pourpoint soutient la fraise. Quand elle est plus large ou volumineuse, on utilise un soutien-col ou carcan [en anglais : supportasse, mot d'origine française] placé sur la nuque, qui la dresse et la maintient pour encadrer le visage.

    Carcan supportasse anglais en carton, rembourrage en coton,
    recouvert de satin de soie ivoire, vers 1600-1625, Victoria & Albert Museum, Londres

    Carcan supportasse anglais en carton recouvert de satin de soie ivoire,
    bordé de gros grain, moulé sur le cou, vers 1600-1625,
    Victoria & Albert Museum, Londres

    ▲Reconstitution moderne de la fraise et du carcan supportasse
    sur le site marchand verymerryseamstress.com

    Parfois on utilise un châssis ou une armature de fil métallique [rebato] recouvert de soie pour la soulever très haut sur la nuque. Ce style de collerette, appelée aussi collet monté (d'où l'expression idiomatique) apparaît à la fin du siècle.

    La Joyeuse Compagnie à table, par Dirck Hals, 1627-1629,
    Staatliche Museen, Berlin sur Web Gallery of Art

    L'élégante compagnie à table, par Dirck Hals, vers 1625,
    Johnny van Haeften Gallery, London, sur The Bridgeman Art Library

     

    Support armature de fraise en laiton, début XVIIe,
    Musée de la Renaissance Ecouen, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

     

    ▲à g. : Bal donné au Louvre en présence d'Henri III et de Catherine de Médicis
    pour le mariage d'Anne, duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine-Vaudémont
    (soeur de la reine Louise), le 24 septembre 1581,
    Ecole française, Musée du Château de Versailles,
    reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
    à dr. : Support armature pour fraise collerette source : blog carlynbeccia

    A la fin du siècle, quand les fraises auront atteint leurs plus grandes dimensions, en largeur ou en hauteur, elles s'amolliront en fraises à la confusion, une fraise non empesée, à plusieurs rangs, nettement moins rigide, ainsi nommée parce que ses plis sont désordonnés. Elle tombe et s'étend sur les épaules, d'abord en collerette, puis en grands collets rabattus, pour se transformer en cet élégant col rabattu bordé de dentelle, si typique de la mode Louis XIII. Cette transformation va se faire progressivement, on porte à la même période différents types de fraises.

    ▲à g. : Portrait de Marcantonio Doria, premier prince d'Angri, par Simon Vouet, début XVIIe siècle,
    Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux
    à dr. : Portrait de jeune homme, par Simon Vouet, début XVIIe siècle,
    Musée du Louvre, reproduction RMN, statut : domaine public sur
    Agence photographique de la Réunion des musées nationaux

    ▲à g. : Portrait de Gaston d'Orléans enfant, par Frans Pourbus le Jeune, 1611,
    Palais Pitti, Florence sur Ciudad de la pintura
    à dr. : Fraise à la confusion en fine batiste, vers 1615-1635,
    Rijksmuseum, Amsterdam

     

    ▲de g. à dr. : Portraits de Louis XIII, par Frans Pourbus le Jeune,
    en 1611, 1612, 1615 et 1616, sur Passion.Histoire.net

    ▲à g. : Portrait de cavalier riant, par Frans Hals, 1624
    The Wallace Collection sur Web Gallery of Art
    à dr. : Portrait d'homme assis, par Willem van der Vliet, 1636,
    Musée du Louvre sur Web Gallery of Art

    La famille de l'artiste, par Cornelis de Vos, vers 1630-1635,
    Musée des Beaux-Arts, sur Web Gallery of Art.
    L'homme porte la fraise à la confusion,
    la femme et les enfants le col rabattu à la mode.

    ▲Portrait de Anna Rosina Tanck, épouse du maire de Lübeck,
    par Michael Conrad Hirt, 1642, St. Annen Museum, Lübeck sur Wikipédia

    Mode à la fois extravagante et stricte, tous les pays de l'Europe occidentale auront porté la fraise, de forme et de volume différents selon les pays, les personnes et leur condition. La fraise aura donc duré près d'un siècle, entre les années 1545 et 1630, et ne sera plus à la mode avant longtemps – jusqu'à la vague historiciste du début du XIXe siècle, qui fera bien sûr l'objet d'un prochain article.

    (à suivre : la fraise du XIXe siècle)

      

    sources : Superbe blog - les petites mains -  

    http://les8petites8mains.blogspot.com/2010/02/fraise-4-de-la-fraise-au-col-rabattu.html

      

     

    Delicious Yahoo! Pin It

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique