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    Le mystère de la tombe d'Anne de Kiev, reine de France (1051-1074 ?)



    Un mystère non résolu :

    où se trouve enterrée Anne de Kiev (née vers 1024 – morte vers 1074-79), reine de France, épouse du roi de France Henri I° et mère du roi Philippe I° ?

    Depuis le XVII°s, les érudits se disputent sur cette question. Anne est-elle rentrée en Ukraine pour y terminer ses jours, ou a-t-elle été inhumée en France ?

    Avant de parler de ces différentes hypothèses, rappelons l’extraordinaire destin de cette princesse venue de l’Orient, aux confins des mondes byzantins et slaves, par qui le sang russe et viking s'est mélangé à celui des Capétiens ...


    Statue d'Anne de Kiev à Senlis, inaugurée par le président ukrainien Victor Iouchtchenko en 2005
    Voir la video de l'inauguration sur les archives de l'I.N.A. :
    http://www.ina.fr/video/2860700001013/iouchtchenko.fr.html




    Anne de Kiev, une jeune princesse slave orthodoxe
     

    Anne de Kiev, en russe et en ukrainien russe : Анна Ярославна (Anna Iaroslavna), est la fille de Iaroslav le Sage, grand-prince de Kiev et de sa seconde épouse, Ingigerd, fille du roi suédois Olaf.
    Les manuels d'histoire l'ont longtemps appelée Anne de Russie.
    Quelques généalogies nomment son arrière grand-père paternel Romain II, empereur de Constantinople, lequel affirmait descendre des rois de Macédoine, mais la fille de Romain II, Anne de Byzance, n'était sans doute que la seconde épouse de Vladimir Ier, père de Iaroslav le Sage, et n’aurait donc pas été la grand-mère d'Anne de Kiev.

    La date exacte de la naissance d'Anne est inconnue. Il est possible qu'Anne soit née en 1024 ou 1025. Une autre date, 1032, est donnée par l'historien russe V. Tatichtchev.
    Dans le Récit des années passées, il n'y a aucun renseignement sur les filles de Yaroslav et d'Ingegerd (Ingrid ou Irène) son épouse. Les anciennes chroniques ruthènes (ukrainiennes) informent peu et sommairement sur les femmes, même les plus nobles. Le nom d'Anna Yaroslavna est surtout connu d'après les chroniques françaises.
    Nous connaissons cependant le destin de ses deux soeurs par des sources étrangères : sur l'aînée, Anastasia, épouse du roi de Hongrie, André Ier (dans les chroniques hongroises elle est évoquée seulement comme « fille du prince de Ruthénie »), par le chroniqueur polonais Jan Dlugosz ; sur l'autre : Elisabeth, par l'historien islandais du XIIIe siècle, Snorri Sturlusson, dans «Heimskringli» (ce que l'on appelle « les sagas royales »). Elisabeth était l'épouse du célèbre viking norvégien, le conquérant Harald Hardrod qui devint roi de Norvège après la mort de son frère.


    En tout cas, Anne est issue d’une lignée très récemment convertie au christianisme orthodoxe. Son grand-père Vladimir (958-1015) adorait encore Odin et offrait des sacrifices humains à tous les dieux du panthéon scandinave. Converti au christianisme byzantin, il fit de Kiev, la ville aux quatre cents églises, la rivale de Constantinople. Il descendait de Riourik, le fameux prince de Novgorod, et de princes Varègues.


    Le baptème du Prince Saint Vladimir. Toile de Viktor Vasnetsov. 1890 -


    La mère d’Anne, Ingigerd ou Ingrid ou Irène (1000-1048), est la fille du roi de Suède Olof Skötkonung et la petite fille d’ Olof III Skötkonung (980-1022), premier souverain chrétien suédois.

    La Rous' (Ruthénie) Kiévienne, sous les règnes de Vladimir et de Yaroslav, était devenue un Etat puissant avec lequel devaient compter Byzance, l'empire Germanique et les royaumes Scandinaves.
    Après la mort de son frère Mstyslav en 1036, Yaroslav le Sage devint « l'unique dirigeant de la terre rous' (ruthène) ».
    L'enfance et l'adolescence d’Anne se sont déroulées dans cette grande et riche cité.
    Sur l'un des murs de la cathédrale Sainte Sophie de Kiev, construite sous le règne de Yaroslav, on peut encore voir une fresque représentant Anne avec sa mère la princesse Ingegerd et ses soeurs aînées.


    Fresque de la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev représentant les filles de Iaroslav le Sage, prince de Kiev.
    Anne est certainement l'une des deux en partant de la gauche.



    Anne était une jeune fille instruite. L'un de ses précepteurs fut Ilarion (« roussène », dit la chronique, c'est-à dire ruthène, donc ukrainien d'origine), qui fut désigné métropolite de la Rous'-Ukraine par Yaroslav sans l'avis du Patriarche de Constantinople.

    Appartenant, par sa confession, à l'Église des sept conciles, Anne pourra donc épouser à Reims en premières noces, le 19 mai 1051, le roi Henri Ier de France qui relevait, quant à lui, de l'Église catholique romaine. Ces deux églises formaient encore l'Église indivise, puisque nous sommes là avant le schisme de 1054.

    C’est en effet la France, à l’autre bout de l’Europe, qui s’intéressa à la jeune princesse.


    L'arrivée en France et le mariage avec le roi Henri
     

    Après la mort de son épouse Mathilde de Frise, le roi de France Henri I°, troisième souverain de la dynastie capétienne, chercha à contracter un nouveau mariage. Mais le Saint-empire, dont les familles étaient selon lui son seul espoir, lui était interdit, car l’alliance était assimilée par l’Église à la parenté, et toutes les cousines de la reine morte, jusqu’au septième degré, étaient interdites au malheureux veuf.

    Sur le conseil de son beau-frère Baudouin, il envoya dès 1045 des observateurs de confiance dans tous les royaumes d’Orient, qu’il chargea de lui signaler toutes les princesses à marier dont ils pourraient entendre parler dans ces lointaines contrées.

    Robert Il, le père d'Henri Ier, avait déjà été excommunié par le pape Grégoire V, du fait de son mariage avec une cousine au quatrième degré.

    Après six années d'insoumission, il fut obligé de venir vêtu de haillons, le licol sur le cou, demander son pardon à genoux devant le Pape.
    L'historien Caix de Saint-Aymour, dans son livre sur Anne et son mari a écrit : « Témoin de tous les affronts qu'a connus son père, toutes ses souffrances, il (Henri Ier) était enclin à se soumettre aux exigences de l'Eglise. Pour ces raisons, ayant perdu sa femme Mathilde, fille de l'empereur germanique Henri II, morte en 1044 sans lui laisser d'héritier mâle, il hésita longtemps à choisir une seconde épouse. »


    Henri I°, roi de France de 1031 à 1060
    Statue du XIX°s s'inspirant du gisant de son tombeau à Saint-Denis, palais de Versailles



    Pendant quatre ans, Henri attendit qu’on lui signalât une fiancée possible, car toutes les princesses dont on lui parlait étaient peu ou prou ses parentes. Son humeur s’en trouva modifiée : il devint coléreux et méchant, même avec ses concubines, et lorsqu’elles manifestaient un désir de tendresse, « il faisait l’agacé, nous dit un chroniqueur, et les battait durement ». Elles finirent par s’enfuir du palais, laissant le roi déçu, amer et sans consolation.
     

    Mais en avril 1049, l’un de ses informateurs lui révéla que le grand-duc Iaroslav Vladimirovitch, qui régnait à Kiev, avait une fille prénommée Anne, qui n’avait aucun lien de parenté avec Henri et qui était, en outre, d’une beauté ravissante

     

    En apprenant que l’on parlait d’Anne, de sa grâce, de son esprit, de ses cheveux blonds et de sa bouche sensuelle jusqu’à Constantinople, le roi eut l’œil pétillant. Il chargea Roger, évêque de Châlons-sur-Marne, de porter des bijoux à Iaroslav de la part du roi de France et de lui demander la main de sa fille.

    Favorable à une politique d’ouverture, le prince de Kiev, l’un des douze fils de Vladimir le Grand qui avait converti le pays au christianisme, accepta la proposition, et Anne arriva à Reims au printemps 1051, apportant une dot considérable en belles pièces d’or frappées à Byzance.

    Anne quitte donc sa famille pour aller rejoindre son futur mari. Elle traverse l'Europe centrale, accompagnée d'une escorte armée et de dames de compagnie, brave les dangers de ce périple qui l'emmène vers un nouveau pays et une nouvelle famille.

     

    Le point de rencontre a lieu à Reims au printemps 1051 où elle découvre un climat, des paysages inédits pour elle et une cour qui ne ressemble à aucune autre.

    Si Henri l’attendait avec une grande émotion et un peu d’inquiétude, ses craintes s’évanouirent lorsqu’il vit la fille du grand-duc. Il devint immédiatement fort épris de cette jeune femme aux longs cheveux blonds et à la peau laiteuse et délicatement dessinée.

     

    La légende veut qu’au moment où elle descendit de son chariot, le roi, incapable de se maîtriser plus longtemps, se soit précipité sur elle pour l’embrasser avec une belle ferveur.

    La princesse n’ayant pas protesté contre cette ardeur un peu hâtive, la foule, dit-on, put contempler les fiancés, qui ne s’étaient jamais vus encore, serrés l’un contre l’autre comme des amants.

    On assure également que, lorsqu’ils eurent fini de s’embrasser, Anne se dégagea et dit à Henri, en rougissant un peu : « Je suppose que c’est vous, n’est-ce pas, qui êtes le roi ?... »
    Le mariage eut lieu à Reims le 19 mai 1051.

    Henri avait alors trente-neuf ans et Anne vingt-sept. La reine, sacrée le même jour par l’archevêque Guy de Châtillon, fut appliquée à la prière, libérale envers les pauvres, sensible au malheur, n’occupant le trône que pour y paraître comme compagne du roi, et pour accorder des grâces.

    Elle ne fut pas épargnée par la dislocation de sa famille d’origine : en 1052 son frère Vladimir mourut, sa mère Ingrid disparaissant dix-huit mois plus tard ; en février 1054, son père Iaroslav s’éteignit, deux autres frères décédant peu de temps après.

     

    L'évangéliaire de Reims ; les sacres ; sang de France et sang de Russie depuis un millénaire ...

     

    En arrivant en France, Anne apporta un livre qui, selon la légende, allait beaucoup compter pour tous les sacres des rois de France à Reims. A compter de 1059 et jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, tous les rois de France, en accédant au trône auraient prêté serment sur un très ancien Evangéliaire ruthène, écrit en écritures cyrillique et glagolitique.

    En réalité, c'est le cardinal Charles de Lorraine qui l’offrit en 1534 au Chapitre de la cathédrale de Reims, après l'avoir revêtu d'une reliure précieuse abritant des reliques.

    Ce livre est l'un des plus anciens textes connus de la langue russe et l'un des plus anciens documents de la langue littéraire ruthène (ukrainienne) et sa première partie (cyrillique) pourrait avoir été écrite par saint Procope, qui mourut vers 1030.
    Pierre le Grand au XVII°s et Nicolas II au début du XX°s, voyageant en France, se le feront présenter.

    On l’appelle aujourd’hui l’Evangéliaire de Reims, conservé à la Bibliothèque Nationale de Paris.
    C'est Anne, qui a amené les feuillets en cyrillique de cet évangéliaire avec elle en France en 1049.

    Anne de Kiev eut quatre enfants avec Henri Ier :
    Philippe, né en 1052, qui deviendra roi de France sous le nom de Philippe Ier ;
    Robert, né en 1054 et mort vers 1063 ;
    Emma, née en 1055 et morte vers 1109 ;
    Hugues, né en 1057 et mort en 1102, qui fut comte de Vermandois sous le nom de Hugues I°.

    C'est Anne qui introduit le prénom Philippe - venant de ses ancêtres macédoniens - à la cour de France en le donnant au fils aîné de son premier mariage qui régnera sous le nom de Philippe Ier.

    Cette première alliance franco-russe ne devait pas être longue, car Henri Ier mourut brusquement à Vitry-aux-Loges le 4 août 1060. Aussitôt, Anne se retira au château de Senlis avec son fils Philippe, âgé de six ans, qui avait été sacré roi du vivant de son père, dès 1059, avec précisément l’Evangéliaire de sa mère sur lequel il prêta serment.

     

    La reine mère ne s’était pas vu confier la tutelle de ce fils ; il n’y avait pas à cet égard de coutume établie. Baudouin V, oncle du roi mineur, fut désigné tuteur-régent. Afin d’éviter les troubles, la famille royale se montra : en 1060, séjours à Dreux, Paris, Senlis, Étampes. En 1061, à Compiègne, Reims, Senlis, Paris.


    Gisant de Henri I°, basilique de Saint-Denis


    Anne veuve et remariée ...
     

    Anne vécut dès lors libre de tout souci politique dans son domaine valoisien, se retirant d’abord à l’abbaye de Saint-Vincent de Senlis. Un chroniqueur nous dit qu’elle aimait beaucoup Senlis, « tant par la bonté de l’air qu’on y respirait que pour les agréables divertissements de la chasse à laquelle elle prenait un singulier plaisir ». Elle y ajouta rapidement d’autres agréments.

    En effet, malgré son veuvage récent, la reine Anne se mit à organiser des réceptions mondaines qui furent très courues. De nombreux seigneurs des environs prirent l’habitude de venir lui faire leur cour et plus d’un parmi eux, rapporte le vicomte de Caix de Saint-Aymour, « apportait ses hommages non seulement à la reine, mais aussi à la femme ».


    Statue d'Anne de Kiev (XIX°s), dans les ancien bâtiments monastiques de l'ancienne abbaye Saint-Vincent de Senlis



    C’est ainsi qu’au bout de trois ans elle épousa le beau et rude Raoul le Grand, comte de Crépy-en-Valois, son aîné de quelques années, qui possédait de nombreux titres : compte de Crépy, de Valois, du Vexin, d’Amiens, de Bar-sur-Aube, de Vitry, de Péronne et de Montdidier.

    Il était l’un des plus puissants seigneurs de France, se plaisant à dire qu’il ne craignait ni les armes du roi, ni les censures de l’Église. En juin 1063, il répudia Haquenez, sa tendre et juvénile épouse, et enleva la reine, complice, lors d’une des promenades en forêt dont elle avait l’habitude, pour l’épouser.

     

    Cet enlèvement et le mariage semi-clandestin causèrent un grand scandale dans tout le royaume. En suivant un homme marié, la reine se rendait coupable d’adultère, trois ans après la mort du roi Henri.
    Haquenez apprenant la raison pour laquelle elle avait été répudiée, se rendit à Rome pour se plaindre au pape Alexandre II, qui l’accueillit avec bonté et chargea Gervais, archevêque de Reims, d’effectuer une enquête, avant d’enjoindre Raoul de se séparer de la reine et de reprendre sa femme légitime.

    Devant le refus du comte, le pape l’excommunia et déclara nul son mariage avec Anne.
    Bravant les foudres de Rome, les deux amoureux voyagèrent ensemble dans le royaume, se cachant si peu, montrant une telle absence de remords, qu’on finit par admettre leur union.

    Quelques années plus tard, le roi Philippe Ier trouva sage de se réconcilier avec eux, admettant même Raoul à la cour. Anne y reparut à son tour avec le titre de reine mère quand le comte mourut, en 1071 ou 1074. On eut pour elle le plus grand respect, et elle régna sur le palais, bien qu’elle ne s’occupât point des affaires de l’État.

    On a dit qu’elle était ensuite retournée en Russie, mais une tombe, trouvée en 1682 dans l’abbaye de Villiers, près de La Ferté-Alais, donnerait à penser qu’elle n’a pas quitté la France, à moins que le monument funèbre qui portait pour inscription : Anne, femme de Henri, ne fût qu’un hommage de la reconnaissance des religieux, et non le lieu de la sépulture de cette princesse.

     

    Plus sûrement, ayant obtenu une terre sise à Verneuil, près de Melun, elle y serait morte vers 1076 et assurément avant 1080, sans avoir connu son petit-fils, le futur Louis VI, né en 1081.

    Au cours des années 1060 , Anne de Kiev participe au renouveau monastique de son temps en fondant l’abbaye Saint-Vincent à Senlis. Sur des terres du comté de Senlis, dont elle a la jouissance à titre de pension, avec « la faveur » de son fils et « l’assentiment de tous les grands », elle fait bâtir une église dédiée à Saint Vincent et un monastère destiné à des chanoines réguliers.

    Dans la lettre de fondation, elle précise que son intention est de réparer les fautes du roi Henri I°, de ses amis et les siennes (sans doute songe-t-elle à son second mariage).

     

    En 1065, lors de la consécration de l’église, elle émet le vœu qu’en ce lieu « puisse vivre des religieux, dans le calme et la paix, pour y servir Dieu jour et nuit, en renonçant au monde et en embrassant canoniquement la vie régulière, c'est-à-dire la règle écrite des Saints Apôtres et de Saint Augustin. »

    A la mort de Raoul de Crépy, en 1074, Anne de Kiev se retire vraisemblablement à Senlis. Déjà, après la mort d'Henri, Anne avait vécu au château de Senlis.

     

     



    Ruines du château de Senlis. Anne y séjourna souvent.



    Là, près du château, dans le faubourg de Vietel, sur l'emplacement d'une chapelle « en ruines et complètement dévastée » on édifia sur son ordre l'église de Saint-Vincent et une abbaye. Cette abbaye perdura jusqu'au XVIIe siècle.

    Chaque année on y célébra une messe à son souvenir.
    Anne avait du reste demandé à son fils Philippe Ier de prendre le titre de fondateur de l'abbaye. Le roi accepta, et le patronage devient héréditaire dans sa famille royale.

    L’année suivante, elle est mentionnée une dernière fois, en tant que « Anne mère du roi Philippe », sur une charte en faveur de l’abbaye de Pont Levroy, puis elle disparaît de la vie publique.
    On ne sait rien des dernières années de sa vie : comme nous l'avons vu, peut-être se serait-elle retirée, loin du monde et de la cour, sur ses terres de Verneuil l’Etang, près de Melun.

    Elle serait morte un 5 septembre, en 1078 ou 1079, et on ignore où se trouve sa sépulture.


    Où a pu être inhumée la reine Anne ?



    1°) Première hypothèse : le retour au pays natal
     

    Désespérant retrouver un jour la tombe d’Anne, les historiens du XIX°s s’étaient résignés à cette solution. Après 1074, la reine serait retournée à Kiev et y serait morte. C’est ce que l’on lit encore dans beaucoup d’ouvrages, sans que cela soit en rien étayé. Certes, deux reines de France connurent plus tard ce destin : Eléonore d’Autriche, seconde épouse de François I°, et Elisabeth d’Autriche, épouse de Charles IX.

    Mais ces deux reines n’avaient jamais pu s’intégrer dans leur nouvelle patrie et la première était même restée isolée à la cour. En outre, Eléonore n’avait pas eu d’enfants et Elisabeth n’avait pas donné de dauphin à son époux. Rien de tel avec Anne de Kiev qui s’était parfaitement acclimatée au royaume de France, y menait une vie assez libre – on l’a vu ! – et aimait son fils Philippe, malgré une brouille passagère causée par son remariage.

    Et ses fondations monastiques qu’elle suivait de près ne dénotent aucun détachement de l’Ile de France.
    Notons enfin qu’il n’y a ni trace ni archive en Ukraine attestant un retour d’Anne dans son pays natal.

    2°) Deuxième hypothèse : un tombeau à l'abbaye de Villiers-aux-Nonnains à Cerny près de La Ferté-Alais dans l'Essonne.

     

    Les Archives nationales françaises conservent un étrange document du 22 juin 1682 intitulé Nouvelles Découvertes pour l'Histoire de France, dans lequel le Père Menestrier a donné une description exacte de ce qu'il estimait être la pierre tombale d'Anne de Kiev. En voici le texte original ci-dessous, y compris les lettres et signes qui en français moderne ne sont plus utilisés.

    En français ancien, le S dit s long ressemblait à notre f moderne sans la barre horizontale. La traduction du texte latin : ci-gît la dénommée Agnes femme du roi Henri… que par la grâce de Dieu leur(s) âme(s) reposent en paix).

     

    « C’eſt une tombe plate dont les extrémitez sont rompuës. La figure de cette Reine y eſt gravée, ayant ſur ſa teſte une couronne à la manière des Bonnets que l’on donne aux Electeurs : il y a un retour en demicercle, où commence ſon Epithaphe en ces termes Hic jacet Domina Agnes uxor quondam Henrici Regis, le reſte eſt rompu, & ſur l’autre retour on lit, Eorum per miſericordiam Dei requieſcant in pace. L'on apprend par cette épitaphe. I.

    Que le véritable nom de cette Reine eſtoit Agnes, quoy que Meſſieurs de ſainte Marthe ayent dit Environ l'an de grace 1044. le Roy Henry ſut conjoint par mariage avec Anne de Ruſſie, aucuns la nomment mal Agnes, d'autres Malthilde. On voit qu'elle eſt morte en France. »
    Ce tombeau fut détruit avec l’abbaye en 1792.
    Toutefois, cette hypothèse est immédiatement réfutée dans cette même Chronique de Nestor qui la rapporte.

     

    En premier lieu, étant donné que l'abbaye de Villiers n'a été fondée que vers 1220, soit près de 140 ans après cette inhumation, et qu'aucun texte ne parle d'un transfert des restes d'Anne dans l'abbaye, il est difficile d'admettre qu'elle y fut inhumée dès sa mort.

    Cette abbaye fut détruite à la Révolution française consécutivement au vote par l'assemblée nationale d'une loi/décret sur la destruction des mausolées. Les pierres de l'abbaye ont été utilisées pour la construction de certaines maisons de La Ferté-Alais.

     

    De plus, si le père Mesnestrier a lu « Hic jacet domina Agnès uxor quondam Henrici regis », en 1642 M. Magdelon Theulier, délégué du vicaire-général de l’ordre y avait lu : « Hic jacet domina Agnes,… »,

    tout en remarquant qu’à ces mots on avait ajouté ensuite « … quae fuit uxor Henrici »
    Et en 1749, D.P.F. Nicot, prieur de Loya, y lut : « Hic jacet domina Agnes, quoe fuit uxor Henrici »

     

    Bref, les 2° et 3° témoins n’ont jamais lu « Henrici regni ». Dans toutes les chartes, Anne est appelée Anne et non Agnès.

     

    Pourtant, cette hypothèse ne doit pas être totalement balayée d’un revers de main. Un transfert de sépulture a pu être fait plus de cent cinquante ans après la mort de la reine.

    Et Melun est très près de la Ferté-Alais. Souvenons-nous que la reine a très bien pu mourir sur sa terre de Verneuil l’Etang, près de Melun. La date de construction de l'abbaye de Villiers-aux-Nonnains à Cerny n’est pas forcément un argument imparable.

     

    Dans la traduction française de la Chronique de Nestor de 1854, Louis Paris, son commentateur, précise (note bas de page 326) que le prince Labanof avait fait autographier un diplôme des Archives nationales (carton K, 37) donné à l’abbaye de Saint-Denis en 1060, portant selon lui la signature « Agnès » : Agnoe reginoe.

    Il en concluait que la découverte du père Menestrier était peut-être authentique.

    Le prince avait été aussi intéressé par la mention « ayant ſur ſa teſte une couronne à la manière des Bonnets que l’on donne aux Electeurs » : cette curieuse représentation correspond bien avec les représentations princières ukrainiennes à la même époque.

    En soi, ce n’est guère un argument car Anne s’était parfaitement intégrée aux habitudes vestimentaires de France. Mais le graveur de la pierre tombale tardive, peu inspiré, aurait-il pu fait du zèle 160 ans plus tard ?
    Louis Paris répliqua à Labanof que l’on aurait dû avoir au génitif Agnetis et non Agnoe.

    Mais n’est-ce pas une inscription de ce type que notre graveur aurait pu reproduire ?

    On trouve en effet souvent des approximations de ce type sur les inscriptions de tombeaux qui avaient été maladroitement réalisées par des artisans locaux.
    Au total, si l’hypothèse est très fragile, on ne peut l’écarter totalement.

    3°) Troisième hypothèse : une inhumation en l’abbaye Saint-Vincent de Senlis.
    C’est la plus probable. Le corps de la reine aurait été rapatrié à Senlis.


    L'abbaye Saint-Vincent, à Senlis, état actuel



    Anne avait fait reconstruire à Senlis une église ou chapelle ruinée qui fut consacrée en 1065, et y fonda en même temps l'abbaye Saint-Vincent. Les origines de l'abbaye ne sont pas claires. Selon M. Durand et Ph. Bonnet-Laborderie (2004), l'abbaye prend le relais d'une église reconstruite en 1060 à l'emplacement d'une chapelle ruinée, et dédiée à cette occasion à saint Jean Baptiste.

    L'abbaye proprement dite aurait été fondé en 1065. Selon E. Müller (1881), ce n'est pas seulement une chapelle, mais une abbaye fondée à une date inconnue qui est relevée de ses ruines en 1065 par Anne de Kiev.

    Müller ignore la dédicace à saint Jean Baptiste, tout comme par ailleurs le chroniqueur Nicolas Quesnel, sous-prieur de l'abbaye, dont le manuscrit de 1670 environ a servi de base à la publication de F. Magne (1860). Quesnel ne mentionne pas d'abbaye antérieure à 1065, mais seulement d'une église. Quoi qu'il en soit, l'association de la fondation ou refondation de Saint-Vincent à Anne de Kiev ne fait aucun doute, ni l'existence antérieure d'un sanctuaire au même endroit.
     

    La veuve du roi Henri Ier avait fait vœu de bâtir un monastère en honneur de Vincent de Saragosse si Dieu bénissait son union (en accordant des enfants au couple royal).

     

    Elle attend toutefois quatorze ans après la naissance de son fils aîné, le futur roi Philippe Ier et cinq ans après son veuvage ; entre temps, elle s'est remarié avec Raoul IV de Vexin pour qui elle est la troisième épouse.

    Ce mariage entre une reine et un vassal débouche sur l'excommunication du couple en 1064. Il n'a pas été étudié comment, dans ses conditions, Anne de Kiev a pu fonder une abbaye, mais l'on a le droit de supposer qu'elle ait voulu se racheter en face des évêques.

     

    Le 29 octobre 1065, l'église est toutefois consacrée à la sainte Trinité, à Marie, à Saint Jean-Baptiste et à Saint-Vincent.

     

     

    L'abbaye est peuplé de chanoines réguliers de saint Augustin, et Philippe Ier la déclarée libre au même titre que les autres églises abbayes royales.

     

    Elle n'est donc soumise à aucune juridiction ecclesiastique ou laïque.

     

    Dès le début, elle est généreusement dotée, recevant un moulin à Gouvieux, la terre du Blanc-Mesnil, une propriété à Crépy-en-Valois, et un peu plus tard le domaine royal de Barbery donné par Philippe Ier.

    Rien n'est cependant connu sur les bâtiments primitifs de l'abbaye Saint-Vincent, sauf que les moines firent construire une grange dîmière.

     


    Quoi qu’il en soit, on connait l’attachement d’Anne pour Senlis et sa région. Son vœu et ses repentirs étaient sincères. Saint-Vincent était SON abbaye et les moines y prieraient éternellement pour son repos.
    De la chapelle reconstruite et dédiée initialement à saint Jean Baptiste en 1060 ne restent que quelques motifs architectoniques au nord-est du transept, dont un chapiteau très dégradé.

    Sinon, l'église actuelle consacrée en second lieu à saint Vincent de Saragosse date pour l'essentiel du XIIe siècle.

     


    Comme la tombe primitive devait être des plus modestes, les travaux de reconstruction, puis les modifications opérés durant les siècles ultérieurs, la disparition d’archives, auraient pu faire disparaître toute trace de la tombe en surface et expliquer l’oubli des moines.
     

     

    Seules des fouilles archéologiques systématiques pourraient peut-être confirmer cette hypothèse.

    En attendant, le mystère demeure …

     

     

     

     

     

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