• Le STO ( 2/3 )


    Seconde partie

    Durant toute cette période, l'administration de Vichy joue largement le jeu, y compris en mobilisant contre les premiers réfractaires, la police, la gendarmerie et mêmes les maires des villes et villages, sans compter l'implication des troupes d'occupation. En quelques semaines, la demande de Fritz Sauckel est donc satisfaite. il a obtenu son contingent d'esclaves. L'effet de surprise passé, les travailleurs commencent à organiser des répliques et il y aura des grèves importantes dans différentes régions, notamment dans la région lyonnaise dès octobre 1942, à la SNCF, aux aciéries de Vénissieux, aux établissements Berliet, etc. avec interventions des <<forces de l'ordre>> pour casser le mouvement.

    Les effets de la loi du 4 septembre 1942 s'essoufflant, et les demandes de Sauckel redevenant plus pressantes, il faudra recourir à d'autres moyens. Ce sera la loi du 16 février 1943 qui instaure un travail obligatoire de 2 ans, pour les hommes nés entre le 1er janvier 1920 et le 31 décembre 1922. Dès lors, les effets des deux lois (4 septembre 1942 - 16 février 1943) se conjuguant, pendant les semaines qui suivent, les départs forcés vont se multiplier. Les révoltes aussi, comme à Romans dans la Drôme en mars 1943 où populations et requis mêlés, empêchent le départ du train, malgré les charges des G.M.R. (gardes mobiles de réserve). Désormais, surtout à partir de l'été 1943, la machine à fabriquer des esclaves ne fonctionne plus très bien.

    Certes, les arrestations s'intensifient, certes, les réfractaires sont privés de papiers, de carte de travail, de cartes d'alimentation, certes, les menaces pleuvent, les rafles se multiplient, mais le gouvernement de Pétain et Laval n'a plus les moyens de sa politique collaborationniste, et de son côté, Sauckel se heurte à Albert Speer, le puissant ministre de l'Armement du IIIe Reich. Lui ne croît pas à l'efficacité du recrutement contraint. Il est partisan de l'utilisation sur place de la main-d'oeuvre dans l'une des 10 000 usines d'un secteur protégé, les Speer-Betriebe, qui travailleront directement pour les nazis.

    En Septembre 1943, il signe un accord en ce sens avec Jean Bichelonne, secrétaire d'Etat à la Production industrielle. L'impunité est même promise aux réfractaires. S'ils régularisent leur situation, ils pourront aussi travailler dans les usines protégées. En janvier 1944 pourtant, Sauckel reprend la main et va jusqu'à réclamer un million de nouveaux esclaves. Cette fois, c'est l'échec total, l'espoir a définitivement changé de camp. Il est désormais beaucoup plus facile de se soustraire et de rejoindre les rangs de la Résistance, qui s'est considérablement renforcée depuis l'été 1943, alors qu'administration et <<forces de l'ordre>> prennent moins à coeur la chasse aux réfractaires.

    On l'a vu, les victimes de la relève forcée et les requis du S.T.O. ont souvent réagi à leur envoi en Allemagne. Il y a eu des grèves, des manifestations, des refus individuels. Depuis la fin de la guerre, 180 451 réfractaires ont été homologués par l'administration, ce qui donne également un aperçu du nombre des travailleurs qui se sont soustraits volontairement à l'ordre de réquisition. Certains qui ont obtenu des permissions ne sont pas repartis, attendant chez eux la fin du conflit, rejoignant parfois un maquis, ou obtenant de faux papiers.

    Car la Résistance n'est jamais restée inerte face à la question de la <<déportation des ouvriers>> comme il est dit alors. De la distribution de tracts à l'organisation de manifestations, de l'article dans les journaux à l'appel radiophonique de Londres ou de Moscou, elle informe inlassablement avec en leitmotiv <<ne partez pas pour l'Allemagne>>. De Témoignage Chrétien à L'Humanité, de Combat à Libération ou La Vie Ouvrière, c'est un long combat d'information qui fait peu à peu son chemin.

    Mais il faudra attendre juillet 1943 pour que se mette en place un organisme essentiellement chargé d'organiser sur tout le territoire la lutte contre la déportation du travail: Le comité d'action directe (C.A.D.) placé sous la responsabilité d'Yves Farge. L'organisme assure la mise en circulation d'un demi-million de fausses cartes d'alimentation, de fausses cartes du travail et d'identité. D'autre part, le comité centralise les tickets d'alimentation obtenus à la suite de raids F.T.P.

    Le quotidien des travailleurs français en Allemagne ? Différent selon les lieux et les époques. Différent également en fonction de l'usine ou l'atelier dans lequel ils travaillent. Il est évident que celui qui oeuvre dans une petite structure à la campagne, est moins exposé que celui qui travaille dans une grande usine placée sous la surveillance de la Gestapo, et visée par les bombardements de l'aviation alliée. Il est certain aussi que l'alimentation restera correcte à la campagne, tandis que les derniers mois de guerre seront insoutenables pour les travailleurs des grandes structures industrielles nazies, en butte aux privations, à la surveillance de la police, aux punitions répétées à la moindre incartade, au moindre acte de refus.

    Ainsi, plusieurs milliers de travailleurs français seront condamnés à des peines de camp de rééducation par le travail, punition chargée de remettre rapidement tout contestataire dans le droit chemin, ce qui fait écrire à Ernst Kaltenbrunner, chef de la police de sécurité du Reich (R.S.H.A.) que les conditions de travail et de vie y <<sont en général plus dures que dans les camps de concentration>> et que <<cela est nécessaire pour atteindre le but fixé et possible, car la détention par mesure de sécurité ne dure que quelques semaines, au maximum quelques mois>>.

    Selon une étude récente d'Arnaud Boulligny, plusieurs milliers de travailleurs ont aussi été internés dans des camps de concentration, ce qui montre bien que la vie des requis en Allemagne n'a pas été exempte de dangers et de drames, sachant également qu'environ 40 000 y sont morts, le plus souvent sous les bombardements de la dernière année de guerre. Après leur retour, 60 000 d'entre eux ont été soignés pour des affections pulmonaires. Il est utile de préciser que le travail pour l'Allemagne nazie ne se résume pas aux seuls volontaires et victimes des lois du 4 septembre 1942 et du 16 février 1943. En France, près de 750 000 personnes ont été requises dans les usines protégées et l'Organisation Todt qui construisit notamment les fortifications du "Mur de l'Atlantique". Il y eut aussi 250 000 prisonniers de guerre transformés en travailleurs. Au total, 3 600 000 Françaises et Français ont, volontaires ou contraints, travaillé pour l'Allemagne nazie.

    Jean-Pierre Vittori

    journaliste, ancien rédacteur en chef du "Patriote résistant" historien, cinéaste
    Notre Musée (revue de l'Association du Musée de la Résistance) n° 186 / 03-08

    Fin de la seconde partie. A suivre: l'opposition des ouvriers aux réquisitions allemandes



    SOURCES : http://ufacbagnolet.over-blog.com/categorie-10577068.html




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