Texte d'André Buffet
Photographie et mise en page de Jean-Michel Peers
Cartes postales de la Terra Foundation for American Art
Documents des Archives Départementales de l'Eure
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LE CLOS NORMAND
Dès la première année à Giverny, Claude Monet sème et cultive ses fleurs.
Les habitants du village sont éberlués par l'énergie dépensée pour voir pousser des fleurs.
Ils ne comprennent pas ces gens à moitié de la ville, à moitié de la campagne.
Mais ce qu'ils conçoivent très bien, c'est le parti qu'ils pensent tirer de certaines situations.
Ainsi un jour de 1891, un cultivateur, fourche en main, ne menace-t-il pas d'enlever les meules,
alors que Claude Monet en a commencé la «Série».
Claude Monet paye le cultivateur afin que celui-ci lui laisse le temps de terminer ses toiles.
L'année suivante, 1892, une situation identique se présente.
Monet souhaite commencer sa «Série des peupliers»;
il constate avec effroi que les arbres sont destinés à être livrés à la menuiserie proche.
Il faut payer encore!
Qu'importe! les séries ont un franc succès; les vaches maigres sont loin;
la maison Monet devient prospère. Le jardin s'organise et le maître des lieux
embauche quelque sept jardiniers dont Félix Breuil est le chef.
Le sujet de l'agencement du jardin est souvent évoqué en famille et « des discussions épiques éclatent,
qui dureront vingt années à propos des épicéas et des cyprès.»(cf. Claire Joyes)
Les arbres sont finalement démembrés et leurs malheureux troncs veillent,
tels de tristes sentinelles, sur l 'Allée Centrale.
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LE JARDIN AQUATIQUE
La passionnante histoire de la construction de ce jardin d'eau n'est certainement pas due au
hasard. En visitant l'Exposition Universelle de Paris en 1889, Claude Monet s'arrête longuement
devant les jardins d'eau au Trocadéro.
Quel émerveillement! Les lotus et les nénuphars épousent lentement l'onde levée par la brise d'été.
Leur large feuillage flottant, vert-cuivre et brun, luit au soleil de cette fin de journée.
Et les fleurs? Mais quelles fleurs! Une palette de teintes insoupçonnées.
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en cette fin de siècle, seul croît en Europe le nénuphar blanc.
Il a fallu le savoir-faire, le génie d'un homme: Joseph Bori Latour-Marliac, pour hybrider cette
variété rustique avec d'autres espèces importées de régions du monde entier, pour obtenir des
cultivars aux teintes et aux formes variées.
Quel ravissement! C'est alors que, probablement, germa dans l'esprit du peintre
la fabuleuse vision d'un bassin peu profond,...
... envasé à souhait, où les rhizomes de ces merveilleuses plantes, côte à côte, développent à la surface de l'onde
un tapis de verdure, parsemé çà et là de somptueux cratères colorés, allant du jaune de Naples au violet manganèse.
Je pense que l'oeil du peintre détectait autour de son bassin la perspective d'une multitude
d'arbres et de plantes, les uns ployant leurs cimes à faire frémir la surface de l'étang,
les autres se dressant vigoureusement vers le ciel, en quête de lumière
pour mieux se réfléchir dans l'eau sombre du bassin. Le tout baignant dans
une atmosphère apaisante, planté dans un désordre apparent où s'engouffre
sous le manteau de verdure: son Jardin d'Eau. Son fidèle et
compétent chef-jardinier saura le conseiller.
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LE PREMIER BASSIN
Quelques années passent. Claude Monet se rend acquéreur d'une parcelle de 1300 m2
en prolongement du jardin, de l'autre côté de la ligne de chemin de fer, en bordure du ru.
Evidemment, le jardin d'eau, son agrandissement, ne sont pas réalisés sans l'approbation des
autorités administratives. De sa plus belle plume, avec tout l'égard qui se doit, Claude Monet
écrit à monsieur le Préfet de l'Eure le 17 mars 1893, afin de l'autoriser à prélever en amont
du Bras Communal de la rivière d'Epte, l'eau nécessaire à l'arrosage de ses plantes aquatiques
par l'intermédiaire d'une prise d'eau, munie d'une vanne, avec rejet en aval du cours d'eau;
de l'autoriser également à construire deux passerelles pour joindre l'autre rive du ru.
Je remarque ici que notre très cher homme fait tout pour plaire à l'honorable monsieur
Pointu-Norès, en charge de la préfecture de l'Eure. « …..je voudrais installer une prise
d'eau au moyen d'un petit fossé..….et une petite vanne.......ce ne serait qu'une petite
déviation intermittente (bien sûr!)..... deux petites passerelles légères....
... de façon à ce que les lieux puissent être remis en leur
état actuel à l'expiration de mon bail"
Comment résister à tant de diplomatie, de charme et de passion?
Il n'en va pas de même à la mairie de Giverny: le conseil municipal rechigne à autoriser
le '' petit parisien '' à creuser son bassin qui souillera l'eau des laveuses; et qui sait,
avec ces plantations bizarres empoisonnera l'eau du bétail. Il est certain que la cabale
menée à l'encontre de Monet par le conseil municipal, sans restriction, n'est pas
favorable à l'avancement de son cher projet.
Michel de Decker dans son ouvrage '' Claude Monet, Une Vie '', fait part d'un courrier autant
rageur qu'alarmé, daté du 17 juillet 1893, du peintre au Préfet, lui signifiant l'attitude
incompréhensible de la municipalité à son égard, et des méchancetés commises. Il propose de
limiter autant que possible les prélèvements dans la rivière, de les différer à la nuit pour ne
pas nuire à l'abreuvage des bovins. Ses arguments décidèrent-ils le Préfet à prendre
sept jours après, la décision qui lui fut favorable? Le Préfet de l'Eure sauve
Monet de la collusion municipale et, en date du 24 juillet 1893,
il l'autorise à pratiquer une prise d'eau dans le Bras Communal ...
...et aménager deux passerelles selon son voeu.
La levée de boucliers des conseillers municipaux, dirigés par leur maire monsieur Léon Durdant,
devient caduque devant l'autorité administrative, et Claude Monet, dès l'année
suivante, rend opérationnel son projet.
Archives départementales de l'Eure
On remarquera la position des deux passerelles ainsi que la position du
Pont Japonais partageant le petit bassin au tiers de sa longueur.
Le bassin est enfin creusé et en 1894 les premiers nymphéas sont repiqués dans son lit,
après en avoir passé commande aux Pépinières Latour-Marliac, spécialisées dans la
production de nénuphars et de plantes aquatiques, au Temple sur Lot.
Tout l'art du peintre et de son équipe de jardiniers expérimentés consiste alors à construire un
décor paisible et naturel dans une organisation sauvage. Les plans successifs aux tons fondus,
sont entrecoupés d'arbustes de terre de bruyère aux coloris puissants. Là une ombre lassive, ici
un trait de lumière sans agression. L'ensemble est conçu en courtes perspectives. Le bassin
s'allonge paresseusement sur quarante mètres environ avant que son eau soit rendue à la rivière.
Le Pont Japonais est construit en 1895.
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LE SECOND BASSIN
Depuis quelque temps, Monet estime que son bassin est trop petit sur un terrain trop étroit.
Madame Rouzé, propriétaire de la rive gauche se laisse tenter par la somme de 1200 frs que lui
offre le peintre, et lui vend en début d'année 1901, une parcelle d'une surface voisine de 3700 m2,
au sud du Bras Communal. Sur 5000 m2 Monet peut envisager la construction d'un grand bassin en
dérivant le Bras Communal jouxtant sa nouvelle propriété. Le 18 août 1901 il adresse un nouveau
courrier au Préfet, lui demandant l'autorisation de détourner le cours d'eau de son lit actuel.
Monsieur Albert Collignon est maire de la commune. Il est avocat de métier.
Adroitement, il réussit à infléchir les plus rebelles de son équipe, ce qui
laisse à penser au peintre que son projet sera accepté. Le 11 décembre de
la même année, l'artiste voit son projet entériné par le Préfet. Il n'a
plus qu'à se mettre au travail avec ses jardiniers pour réaliser
le rêve de sa vie et sa passion pendant un quart de siècle.
Projet de dérivation du bras communal (appelé aussi, petit ru ou ru de Giverny)
(Archives départementales de l'Eure)
Enfin le grand bassin est creusé, englobant le petit. Son contour est harmonieux;
le Pont Japonais est cette fois carrément repoussé en sortie de bassin à l'ouest.
La mise en eau se fait début 1903. L'artiste commande une seconde fois
des nymphéas en 1904 aux pépinières Latour-Marliac.
(Illustration de « Une Visite à Giverny » de Gérald van der Kemp).
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Les fac-simile des Archives départementales de l'Eure ont été photographiés par Thierry Leroy,
C.D.P./Conseil général et nous ont été aimablement communiqués par Monsieur Claude Landais, Maire
de Giverny. Ces documents ont été exposés au Musée des Impressionnismes de Giverny en 2009.
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Pour l'anecdote...
GEORGES CLEMENCEAU,
grand ami et complice du "Paysan de Vernon" dans ses aventures jardinières.
Cette carte publicitaire fut éditée à l'occasion de la publication de l'hommage chaleureux que Georges Clémenceau rendit à son cher ami Claude Monet. « Le paysan de Vernon » dixit Clémenceau, a une tendre affection pour ses fleurs; tellement que, ne supportant plus que la poussière du Chemin d'en Bas, levée par le passage des automobiles, ternisse l'éclat de ses fleurs, il propose au conseil municipal le 21 avril 1907, une participation de 1200 francs pour le goudronnage des Chemins d'en Bas et d'en Haut; la dépense totale s'élève à 2800 francs. «Les Grandes Décorations des Nymphéas» prennent place au rez-de-chaussée de l'Orangerie aux Tuileries, dans deux superbes salles elliptiques. L'inauguration a lieu en 1927. Par un don du peintre à l'Etat, l'acte en est établi le 12 avril 1922 à Vernon.
LA MUSARDIERE
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Texte d'André Buffet
Photographie et mise en page de Jean-Michel Peers
Cartes postales de la Terra Foundation for American Art
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Cette magnifique demeure devient maison de repos et de convalescence
pour dames et jeunes filles après le second conflit mondial.
Au dos de la carte, la publicité, que l'on nomme "réclame" à l'époque, informe
la clientèle de l'établissement, de son agrément à la Sécurité Sociale.
Devenu hôtel-restaurant, "La Musardière" conserve son charme des années 30, avec de très beaux
éléments d'époque, carrelage, vasques de salle de bains, et surtout cette très belle cheminée.
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Un peu plus loin en partant vers la gare, le carrefour de la Rue d'en Haut
et du Chemin du Roy lors des inondations de 1910.
Déjà en 1910, les véhicules motorisés roulent vivement.
Le panneau émaillé accroché au réverbère rappelle aux automobilistes pressés :
"ALLURE MODEREE PRESCRITE A TOUS VEHICULES - Arrêté du (illisible)".
Un peu plus tard, le maire prend un arrêté le 28 février 1925 qui limite
la vitesse à 10 km/h pour les poids lourds et à 20 km/h pour les automobiles.
Les temps ont bien changé.
Les réverbères électriques sont installés le long des rues dès le début du siècle.
En un premier temps, le courant électrique est fourni par les moulins.
Celui de Limetz alimente Giverny. En 25 ans, 3 propriétaires du moulin assurent
cette livraison: Messieurs Lavandier, Théroult, Peiniau.
Le journal Excelsior du 6 décembre 1926 informe qu'une loi propose
la nationalisation du réseau électrique.
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SOURCES 3 : http://www.pbase.com/nieuwburgh/image/122196772