• Avant le franc



    Différentes monnaies d'or, d'argent et de cuivre circulaient en Gaule à la fin de l'Empire romain. Au temps des rois mérovingiens, descendants de Clovis, ne subsiste guère que la monnaie d'or, sou et surtout tiers de sou, appelé aussi triens ou tremissis (à peine 1 g), imitations plus ou moins réussies des pièces impériales romaines. Le triens d'or devient quasiment espèce unique au début du VIIe siècle.

    Du tiers de sou d'or au denier d'argent


    L'or provient principalement de la Méditerranée, en particulier des monnaies de l'Empire byzantin. Mais vers 650, la géographie économique et monétaire se modifie au profit du Nord d'où viennent des monnaies d'argent anglo-saxonnes et frisonnes (des Pays-Bas), les sceattas. En outre, l'or se fait plus rare et plus cher après la chute de l'Afrique byzantine et la prise de Carthage. Vers 675, le sou d'or est complété puis remplacé par une pièce d'argent : le denier, du nom de l'ancienne monnaie romaine d'argent. Douze deniers font un sou. Les pièces sont produites un peu partout et revêtent de multiples aspects. Le contrôle des monnaies semble échapper en grande partie au pouvoir royal mérovingien. Les réformes monétaires byzantines et arabes, le succès des monnaies anglo-frisonnes, l'exploitation de nouveaux gisements argentifères et des circonstances politiques internes pérennisent l'adoption de l'étalon argent sous l'égide d'une nouvelle dynastie royale : les Carolingiens.

    Le denier d'argent, monnaie unique de l'Empire carolingien



     

    Tandis qu'ils réunifient et étendent à leur profit le royaume des Francs, Pépin le Bref (741-768) et son fils Charlemagne (768-814) reprennent le contrôle de l'activité monétaire. Le pouvoir royal sur la monnaie est réaffirmé par un ensemble de règlements et de contrôles organisant sa fabrication et sa mise en circulation. En 754-755, l'édit de Ver est une première tentative d'uniformiser le poids et l'aspect du denier d'argent franc. En réalité, la marque de l'autorité royale ne figure systématiquement sur la monnaie qu'avec Charlemagne en 793-794.
    "Monnaie unique" de l'Empire carolingien, le nouveau denier au poids unitaire d'environ 1,70 g est le modèle, direct ou indirect, du monnayage occidental produit du IXe au XIIIe siècle. La réglementation carolingienne insiste sur la qualité de la monnaie, et cherche à éviter la "fausse monnaie" (en fait, des pièces de moindre qualité produites frauduleusement dans les ateliers officiels), et la thésaurisation ou la transformation en argenterie.
    En prescrivant de tailler 240 deniers dans 1 livre d'argent, Charlemagne jette les bases d'un système monétaire et comptable qui persistera en France jusqu'à la Révolution : 1 livre = 20 sous ou 240 deniers ; 1 sou = 12 deniers. En outre est frappée une division du denier, l'obole d'argent, qui correspond à sa moitié.

    Du denier carolingien aux deniers féodaux


     

    Principal agent administratif local, le comte surveille et contrôle au nom du souverain l'activité monétaire dans le royaume. Dans la seconde moitié du IXe siècle, les usurpations des comtes se multiplient. Le phénomène s'amplifie à la faveur des problèmes de succession au trône, des conflits intérieurs, puis des raids sarrasins, vikings et hongrois : le pouvoir royal perd peu à peu le contrôle effectif et l'exclusivité de la frappe des deniers. Les comtes commencent d'exercer les pouvoirs régaliens à leur propre profit. Par ailleurs, le souverain concède une part des revenus d'un atelier, parfois sa gestion, à des évêques ou des abbayes. La féodalisation du denier se concrétise au Xe siècle alors que les Robertiens, ancêtres des Capétiens, s'opposent aux Carolingiens. L'aristocratie profite de l'occasion pour se rendre plus indépendante. Le pouvoir affaibli multiplie les concessions officielles, notamment en faveur d'ecclésiastiques. La monnaie est désormais affaire de prélats, de ducs et de comtes, voire de vicomtes, qui peuvent changer titre et poids à leur guise.

    Une multitude de monnaies


     

    Entre les XIe et XIIIe siècles, dans un contexte d'essor économique et commercial tant dans les campagnes que dans les villes, une multitude de derniers féodaux sont frappés régionalement, voire localement, par des seigneurs plus ou moins importants. La monnaie du roi est devenue une monnaie parmi d'autres. Du point de vue du seigneur émetteur, la monnaie constitue une importante source de revenu, un moyen de financer son train de vie et sa politique. Un profit est en effet réalisé sur la frappe de chaque pièce : c'est le droit de seigneuriage. Pour augmenter ce revenu, le seigneur peut procéder à une mutation de sa monnaie, c'est-à-dire modifier certaines conditions d'émission : poids du denier, titre ou teneur en argent fin, cours officiel. La pratique alors la plus courante dans le royaume de France consiste à affaiblir la monnaie en titre de métal fin, une préfiguration des dévaluations contemporaines. Elle engendre de grandes disparités de valeur entre les différentes pièces en circulation et concourt localement à une certaine instabilité monétaire. Les élites féodales et les bourgeoisies urbaines montantes protestent et négocient, obtenant de limiter ces mutations à une seule par règne, ou la stabilisation de la monnaie en contrepartie d'une taxe (monéage).

    Restauration de la monnaie du roi


     

    À la faveur des guerres, des mariages et des héritages, Philippe Auguste (1180-1223) étend progressivement son autorité, y compris dans le domaine de la monnaie. Le denier "parisis", est d'abord diffusé dans le nord du royaume, puis à l'est et quelque peu au sud. Après la conquête de la Normandie, de l'Anjou, du Maine et de la Touraine (1204-1205), le roi impose une nouvelle pièce : le denier "tournois". Cette politique volontariste est poursuivie par Saint Louis (1226-1270) au seul profit du tournois et au détriment des monnayages féodaux. À l'exemple des cités italiennes qui frappent de "gros" deniers valant entre 20 et 30 deniers locaux, Louis IX crée un gros tournois, première monnaie de bon argent produite en France, valant 12 deniers. Le gros tournois rencontre un tel succès qu'il est frappé abondamment, rapidement imité, notamment en Provence, et diffusé largement en Italie. Dans le même temps est créé l'écu d'or, première monnaie d'or capétienne. Mais il s'avère un échec commercial et est vite abandonné. Saint Louis laisse à ses successeurs une monnaie apparemment stable.

    Source BNFhttp://lartdesmets.e-monsite.com/pages/economie-et-monnaie-au-moyen-age/naissance-du-franc/avant-le-franc.html

      

      

      

     

      

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  • Crises et mutations au XIVe siècle


    À la fin du Xllle siècle, Philippe le Bel (1285-1314) s'engage dans une politique militaire onéreuse contre l'Aquitaine anglaise et la Flandre. Il doit maintenir son seigneuriage* (revenus monétaires) tout en tenant compte des tensions proprement monétaires liées au marché des métaux précieux. Des réajustements ont déjà rompu la stabilité de la "bonne monnaie" de Saint Louis. En effet, les anciens deniers tournois, encore utilisés, se sont usés et ont perdu de la valeur en argent. De plus, les deniers tournois récents sont frappés avec une certaine "tolérance" quant à leur titre en argent. Les autorités royales doivent pallier l'augmentation régulière du cours des métaux. Elles pratiquent donc des mutations* (dévaluations en série ponctuées de réévaluations partielles) qui affaiblissent la valeur intrinsèque des monnaies et affectent le rapport de valeur entre l'or et l'argent.

     

    Instabilité monétaire



    Dans ces circonstances, le gouvernement de Philippe le Bel manipule fréquemment la monnaie, perturbant au quotidien l'économie du royaume. Aux dévaluations (1295-1305) succèdent des réévaluations (1305-1311). Mais le renforcement brutal d'une monnaie faible paralyse les transactions et nécessite de réglementer en particulier l'exécution des contrats. Ainsi le règlement d'un marché sera effectué à la valeur de la monnaie au moment de la passation du marché. Les échéances régulières - cens, rentes ou loyers - doivent être réglées à la valeur de la monnaie au moment du paiement. Mais tout est remis en question si la monnaie devient trop forte. De fait, l'argent se négocie souvent à un cours non officiel en fonction de l'offre et de la demande. On retrouvera avec une autre ampleur les mêmes vicissitudes monétaires du règne de Philippe le Bel durant la première phase de la guerre de Cent Ans.
    Les fils de Philippe le Bel tentent, sans grand succès, de revenir à une meilleure monnaie. Ils travaillent surtout à réduire la place des monnayages féodaux. Un reflux des cours des métaux en 1329 permet à Philippe VI de Valois (1328-1350) de stabiliser les cours puis de rétablir une bonne monnaie. Mais le déclenchement d'un conflit généralisé entre la France et l'Angleterre sur le sol français, la peste, les défaites et les crises politiques et sociales mettent à bas tous ces efforts.

     

    La guerre de Cent Ans


    C'est la succession du trône de France, laissé vacant en 1328 par la mort sans héritier de Charles IV (1322-1328), fils de Philippe le Bel et dernier des Capétiens mâles en ligne directe, qui est à l'origine de la guerre de Cent Ans. Deux prétendants sont alors en lice : Philippe de Valois, le plus proche héritier de la lignée masculine, et le roi d'Angleterre Édouard III (1327-1377), petit-fils de Philippe le Bel par sa mère. Arguant une prétendue loi franque, dite "salique", qui excluait de la succession au trône de France la descendance par les femmes, Philippe de Valois devient donc roi de France sous le nom de Philippe VI. Édouard Ill, qui possède la Guyenne, doit lui faire allégeance pour ce fief français. Mais Philippe VI lui dispute cette province et l'annexe en 1337 : commencent alors cent seize années de conflits qui feront alterner des périodes de guerre et de trêve.
    Les premières années de guerre sont désastreuses pour le royaume de France qui enchaîne les défaites militaires. Dès 1340, la flotte française est anéantie dans le port de L'Écluse, en Flandre, laissant à l'Angleterre la maîtrise de la mer. Malgré la supériorité numérique des Français, les fantassins et les archers anglais écrasent les cavaliers français à Crécy en 1346. La défaite est totale. Édouard III fait alors le siège de Calais. Après onze mois de résistance, la ville capitule et devient possession anglaise durant près de deux siècles.
    Loin d'offrir un répit aux campagnes dévastées par les Anglais, les périodes de trêve aggravent encore la situation du royaume. Les soldats démobilisés s'organisent en bandes pour piller les villages et sèment la terreur dans toutes les provinces. Entre 1347 et 1351, une terrible épidémie de peste s'abat sur la France et décime en quelques années une population aux abois.
    En 1355, le fils d'Édouard Ill, le prince de Galles dit le Prince Noir (1330-1376), débarque à Bordeaux avec ses troupes. Il dévaste toute la région jusqu'à Narbonne, puis le Languedoc, et oblique vers le Nord pour une nouvelle expédition. En septembre 1356, l'armée du roi Jean le Bon, successeur de Philippe VI, tente de l'arrêter près de Poitiers. Le désastre est tel que le roi de France lui-même se trouve prisonnier.

     

    Effondrement de l'économie et troubles civils



    Les mutations monétaires ont recommencé au début de 1337, quelques mois avant le début officiel de la guerre franco-anglaise, et s'amplifient après les défaites militaires. Pas moins de 85 mutations sont effectuées entre 1337 et 1360 ! Spectaculaires et choquantes, ces opérations sont très mal vécues par la population et provoquent l'indignation des acteurs économiques. L'administration royale et sa monnaie sont plus ouvertement contestées. À la suite d'une échauffourée avec des pillards, un soulèvement de paysans se propage autour de Paris, en Champagne et en Normandie. Révoltés par des années de disette et de soumission, les paysans brûlent et pillent les châteaux avec une extrême violence. À peine la Jacquerie est-elle écrasée que le prévôt des marchands, Étienne Marcel, soulève Paris contre le dauphin Charles, régent du royaume durant la captivité du roi son père.     


    Charles restaure difficilement son autorité sur la capitale quand une armée anglaise débarque à Calais. La France est exsangue, en crise politique, économique et sociale. L'arrêt de la guerre est devenu indispensable, sans parler de la libération du roi. La paix est conclue à Brétigny le 8 mai 1360 contre des concessions territoriales considérables et une rançon de 3 millions d'écus... soit 12,5 tonnes d'or !

    Source BNF

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  • La création du franc

    La création du franc à cheval en 1360 s'inscrit dans un contexte de crise économique et sociale. Depuis 1337, la France est en guerre contre l'Angleterre pour la conquête de plusieurs provinces, dont l'Aquitaine et la Normandie. Le roi doit trouver en peu de temps de quoi payer ses troupes et les autres dépenses liées au conflit : il le fait entre autres expédients au prix de quelque quatre-vingt-cinq mutations (dévaluations) qui entraînent de graves troubles civils.

    Le roi de France prisonnier à Londres



    En 1355, le Prince Noir - prince de Galles, fils du roi d'Angleterre Édouard III - débarque en Aquitaine et mène une campagne dévastatrice en Languedoc. Jean le Bon convoque des états généraux et obtient le financement de son armée en contrepartie d'une meilleure monnaie. Mais il est fait prisonnier près de Poitiers le 18 septembre 1356 et se retrouve détenu à Londres.
    Réputé mauvais gestionnaire, le roi a failli dans sa mission suprême de chevalier défenseur du royaume. C'est son fils Charles (futur Charles V, "le Sage") qui assure la régence comme "lieutenant général du roi" et poursuit la guerre. Mais le dauphin doit faire face aux soldats démobilisés qui ravagent le pays, à la Jacquerie qui secoue les campagnes, au soulèvement d'Étienne Marcel à Paris… À peine a-t-il restauré son autorité dans la capitale qu'une armée anglaise débarque à Calais. L'arrêt de la guerre devient indispensable, sans parler de la libération du roi.
    C'est à Brétigny, le 8 mai 1360, que Charles conclut la paix avec Édouard III d'Angleterre. Outre d'importantes concessions territoriales, le roi de France doit s'acquitter d'une rançon de 3 millions d'écus, soit 12,5 tonnes d'or. Libéré après un versement de 400 000 livres en écus, Jean le Bon débarque à Calais le 25 octobre en laissant à Londres des otages parmi lesquels son frère et ses trois fils. Ce versement est couvert par le mariage de sa fille Isabelle avec Jean Visconti, fils de Galéas, potentat de Milan, moyennant 600 000 livres. Restaient encore 2 600 000 livres à verser…

    La création du franc à cheval


     

    Sur le chemin de Paris, Jean le Bon signe trois ordonnances fiscales et monétaires à Compiègne le 5 décembre 1360. Il lève un impôt direct, le "fouage", sur chaque foyer fiscal. En même temps, les derniers d'argent sont renforcés et une nouvelle pièce d'or est créée : le franc à cheval, prescrit à 24 carats (or fin), au poids équivalant à 3,885 g, pour un cours de 20 sous tournois, c'est-à-dire 1 livre tournois, l'unité de compte. La frappe des espèces blanches (argent) et noires (billon) débute quinze jours après l'ordonnance, celle des francs dès février 1361.
    Le pouvoir donne des gages de stabilité, notamment en abandonnant son seigneuriage, et se soucie d'un rapport fixe entre les métaux. La nouvelle monnaie doit seule circuler dans tout le royaume, y compris dans le Languedoc où avait été frappé au temps des troubles un monnayage particulier. Royaume et monnaie sont de nouveau réunifiés. Toutes les anciennes monnaies, françaises et étrangères, les mauvaises en priorité, doivent être fondues. Le roi exprime enfin la volonté d'établir un système de compte plus réaliste, fondé sur une monnaie bonne et réelle, le franc, et de nature à évincer les systèmes de compte fondés sur des monnaies concurrentes, le florin italien en particulier. Mais devant l'ampleur et la longueur de cette tâche, la circulation de certaines espèces reste tolérée.

    Un franc symbolique


     

    Cette nouvelle monnaie d'or est chargée de symboles. C'est la première à porter le nom de "franc", qui évoque peut-être une comparaison avec le noble, pièce d'or royale anglaise ("franc" = noble), et fait aussi référence à la libération de Jean le Bon, qui se proclama "franc" (= libre) à plusieurs reprises. Le franc matérialise dans la population la libération, au moins pour un temps, du fléau des mutations par la garantie de son pouvoir d'achat. C'est enfin le symbole de la souveraineté restaurée après une guerre dévastatrice contre l'Angleterre et de graves soulèvements sociaux, notamment à Paris.
    Le franc est donc la monnaie du roi libéré, de la paix rétablie, la pièce qui symbolise le retour à la "bonne monnaie" : une monnaie "forte" de la stabilité retrouvée. C'est la monnaie du redressement amorcé et réalisé sous le gouvernement d'un roi "sage" et "bien entouré" : Charles V.

    Le franc de Charles V : succès monétaire et stabilité


     

    Devenu roi en 1364, Charles V fait frapper un franc à son nom, appelé officiellement denier d'or aux fleurs de lis. Le souverain ne figure plus à cheval mais debout, en armure sous un dais gothique, tenant les attributs royaux et orné de fleurs de lis. Comme le titre, le poids et le cours sont les mêmes que ceux du franc à cheval, les usagers le renomment sans tarder franc "à pied". Le blanc "au K" (initiale de Karolus) valant 5 deniers, un denier parisis, un double, un denier et une obole tournois plus tardive (1373) complètent un système monétaire fort simple. Par comparaison avec la période des grandes mutations, le règne de Charles le Sage offre moins de dix pièces différentes, indice de stabilité. Si sa politique volontariste rencontre de fortes résistances, notamment quant aux décris des anciennes pièces, la situation est totalement assainie à la fin de son règne, vers 1380.

    Source BNF

     
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    Jean le Bon promulgue trois ordonnances à Compiègne le 5 décembre 1360. L'une constitue l'acte de naissance du franc. Ensemble, elles marquent aussi la mise en œuvre d'une politique monétaire par les engagements que prend et que tiendra le roi. Jusqu'alors, l'administration royale use du pouvoir monétaire comme d'une ressource personnelle qu'il s'agit de maintenir, voire d'augmenter, au prix de mutations* plus ou moins amples et fréquentes, et les mesures d'accompagnement prises dès l'époque de Philippe le Bel, et reprises par les textes de Philippe VI, Jean II et le Dauphin Charles, se révélaient trop partielles et inefficaces au regard de la situation générale du royaume. 1358 est une année noire pour le royaume de France : le roi et une partie de l'aristocratie sont en captivité à Londres, les paysans se sont révoltés dans les campagnes (la Jacquerie) et Paris s'est soulevé contre le Dauphin, prêt à céder aux ambitions du roi de Navarre et comte d'Évreux, Charles le Mauvais.
    La préparation des ordonnances et leur application doivent davantage au Dauphin et régent Charles qu'au roi Jean lui-même. Dans l'esprit d'Oresme, conseiller politique et monétaire du régent, le franc doit certes payer la rançon du roi, mais il incarne surtout le souci d'assainir la situation économique d'un royaume sans roi et ravagé, enfin revenu à la paix. Dans les ordonnances de 1360, le roi s'engage à garantir la valeur de la monnaie : la notion de monnaie forte et stable est indissociable de la création du franc. Bien entendu, la monnaie reste un moyen de paiement et une source de revenus, mais avec Charles V, elle se présente encore plus qu'avant comme un instrument politique constitutif de la souveraineté royale. La stabilité et donc la longévité du franc nouvellement créé font partie du contrat moral qui lie le roi et ses sujets.

    Une monnaie forte et stable



    "Nous ferons faire bonne et forte monnaie d'or et d'argent." "Nous garderons monnaie stable qui puisse demeurer en un état le plus longuement que l'on pourra bonnement […] et qui ne grèvera point tout notre peuple comme peut faire la mutation de notre monnaie."
    Au lendemain des terribles années de crise, le roi dit vouloir renouer avec la "bonne monnaie", celle du temps de Saint Louis ou de Charlemagne. Il s'engage à défendre la stabilité monétaire, c'est-à-dire à renoncer aux mutations et aux refontes qui enrichissent le trésor royal au détriment du peuple. Le roi assure qu'il lèvera l'impôt en monnaie française, gageant ainsi de sa volonté de maintenir une bonne monnaie royale qui dispense du recours à d'autres monnaies : "L'aide (impôt) sera levée en sous et en livres et non en florins, d'où il apparaît clairement au peuple que le roi est résolu à tenir et garder la forte monnaie."

    Un rapport fixe entre les métaux



    Les ordonnances de 1360 établissent un rapport fixe entre les métaux. Les pièces d'or et d'argent du royaume sont évaluées afin "de les ordonner et bien équipoller l'un à l'autre". Pour la première fois, la différence entre le prix du métal et la valeur de la monnaie ne couvre que les frais de fabrication. Le roi abandonne son droit de seigneuriage*, c'est-à-dire qu'il renonce à tirer profit du monnayage, garantissant ainsi la valeur de sa monnaie.

    Une monnaie réunifiée



    Au cours des années de crise, les provinces du Sud, de langue d'oc, ont gardé une monnaie plus stable que celles du Nord, grevées par la révolte de Paris. Les cours était donc différents en Île-de-France et en Provence. En renforçant la monnaie et en créant le franc, le roi restaure l'unité monétaire du royaume : il ordonne que les nouvelles pièces circulent sur tout le territoire avec la même valeur. Monnaie et royaume sont enfin réunifiés.
    Le roi cherche aussi à chasser du royaume les pièces étrangères et à reprendre son indépendance monétaire. Les mutations incessantes ont décrédibilisé le système français et les grandes transactions, notamment dans les foires de Champagne, sont effectuées en florins, monnaie en or de Florence qui s'est imposée comme la pièce de référence. Le franc entend bien concurrencer le florin et l'évincer du royaume.

    Un système monétaire simplifié



    Bonnes et mauvaises monnaies, pièces anciennes ou plus récentes, monnaies françaises et étrangères circulent de manière totalement anarchique dans le royaume. Une monnaie forte et stable doit s'inscrire dans un système monétaire simplifié. Le roi ordonne donc que toutes les monnaies en circulation soient fondues pour ne frapper que six nouvelles pièces : le grand franc d'or (peu frappé et dont aucune pièce n'est conservée), le franc d'or, le gros d'argent, le blanc d'argent à fleur de lis, le denier tournois et le denier parisis. Mais devant l'ampleur de la tâche, il doit tout de même admettre la circulation de quelques pièces étrangères.
    Le système comptable est lui aussi simplifié. Le roi veut faire correspondre monnaie de compte et monnaie réelle : 1 franc = 1 livre = 20 sous, 1 blanc d'argent = 10 dernier, 1 tournois = 1 dernier. Mais il garde la dualité tournois / parisis.

    Naissance de la fiscalité et mesures économiques d'accompagnement



    Les ordonnances de 1360 sont autant fiscales que monétaires. Il s'agit de lever une "aide" (impôt) pour libérer le roi en contrepartie d'une monnaie stable. Mais la rançon offre l'occasion d'établir une fiscalité, plus organisée, multiple et permanente. Jusqu'alors, les ressources du roi proviennent de ses domaines, des bénéfices du monnayage et des éventuelles prises de guerre. En droit féodal, il ne peut lever une aide qu'en convoquant les états généraux dans trois cas précis : les frais d'un mariage, d'une guerre ou d'une rançon. Devenu roi en 1364, Charles V comprend vite tout l'intérêt de transformer l'aide en impôts permanents. Il prélève donc une taxe sur les marchandises, notamment la gabelle sur le sel, et un "fouage" calculé par famille. Les impôts indirects et directs sont nés.
    Parallèlement, le roi prend des mesures de relance économique. Il fait fondre sa propre vaisselle d'or pour mettre en circulation davantage d'espèces. Les prix et les rémunérations sont fixés par l'autorité royale afin de lutter contre les dérives inflationnistes : c'est la naissance du dirigisme économique, comme l'indique clairement l'ordonnance "qui contient le prix des denrées et des salaires des ouvriers, sur les prévôts et tabellionnages (greffier notarial), et sur les sergents".
    Enfin, mesures importantes pour l'ensemble des sujets et la bonne marche des affaires au quotidien, de nouvelles ordonnances fixent les conditions monétaires des règlements de contrats à termes passés avant le rétablissement de la bonne monnaie et des contrats à venir (ventes, baux à loyer), pour éviter qu'une partie soit lésée par un paiement en mauvaise monnaie.

    Les moyens d'une grande politique



    Pour Charles V, roi "sage" (savant) et bien conseillé, ces réformes sont les conditions du redressement économique et politique de la France. La stabilisation de la monnaie et l'instauration d'une fiscalité permanente donnent à Charles V les moyens d'une grande politique de reconquête. Reconquête de l'opinion d'une part, lassée par des années de crise et tentée de mettre le roi sous la tutelle d'un "conseil royal". Reconquête du territoire d'autre part, en finançant une armée régulière. À la fin de son règne en 1380, la situation économique est assainie et le royaume a recouvré ses provinces perdues. Seuls Calais, Brest, Bordeaux et Bayonne restent aux Anglais. La création du franc est ainsi une réussite économique et politique.

      

    SOURCES : http://lartdesmets.e-monsite.com/pages/economie-et-monnaie-au-moyen-age/naissance-du-franc/naissance-de-la-politique-monetaire.html

    Source BNF

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