• La taverne au moyen-âge

    "Maudits, vous serez maudits …" La malédiction lancée depuis son bûcher par le Grand-Maître des Templiers, Jacques de Molay, contre Philippe le Bel semble s’être étendue à tous ses sujets. Avec la Guerre de Cent ans, les campagnes sont infestées de routiers tandis que les châteaux sont dévastés par les jacques désespérés. Ne parlons pas de la grande Peste, qui emporte entre 50 000 et 80 000 Parisiens entre 1348 et 1349, un sur quatre.

    Temps de malheurs.

    Paris a peur. Les affaires ne sont plus ce qu’elles étaient pour les taverniers parisiens durant la Guerre de Cent ans. Le bon vin a disparu depuis longtemps. La picrate qu'on y sert est imbuvable et hors de prix et chacun sait que cette fripouille de tavernier la coupe avec de l’eau. On se rabat du coup sur la cervoise, que l’on brasse soi-même mais elle est aussi taxée que le vin. Dans les centaines de tavernes puantes, enfumées et graisseuses, l’heure n’est plus à la joie comme au temps des grands rois capétiens, Philippe-Auguste ou Saint-Louis. On ne parle, ni ne chante, encore moins se confie. Les espions sont partout. Il y a d’abord ceux des Anglais et de leurs alliés Bourguignons, et puis ceux des Armagnacs. Et quand la bagarre éclate, les morts d'hommes ne sont pas rares.


    La capitale est devenue un enjeu, et une ville incontrôlable tiraillée par toutes les factions qui vont s’y succéder. Et Paris veut jouer sa carte contre le Roi. Il y a eu bien sûr 1354, Etienne Marcel, prévôt des marchands qui est parvenu à coiffer le Dauphin, du chaperon blanc et bleu des Parisiens. Cela a plus de panache et de grandeur que la (Ci-dessus, Crieur de vins d'après illustration de la Bibliothèque Nationale.) conspiration des bouchers de Simon Caboche à la solde des Bourguignons. La corporation des bouchers, l’une des plus riches et puissantes de Paris avait son église Saint-Jacques la Boucherie, dont il ne reste aujourd’hui que la Tour, et ses rues aux noms évocateurs, rue de l’Ecorcherie ou de la Tuerie. L’hémoglobine est leur univers et leur aventure se termine logiquement dans le sang.

    La fin de la Guerre de Cent ans verra une renaissance de Paris qui va retrouver ses 200 000 habitants mais les artisans vont laisser place aux fonctionnaires et aux hommes de robes. La Renaissance arrive.

    Du vin tavernier pour oublier les malheurs du temps !

    Dans l’histoire du Paris Médiéval, le vin joue un rôle essentiel. On le sert dans les centaines de tavernes. Comme le sel, son transport et son commerce est un monopole. Le vin ne peut pénétrer Paris que par la Seine. Du coup, les bourgeois de Paris qui dominent les navigations sont en haut de l’échelle sociale. Ils sont chargés par le roi de nommer les crieurs qui chaque jour donnent le prix du vin dans les tavernes. Ils nomment aussi les mesureurs. Rien de plus anti-libéral et protectionniste que l’Ancien Régime.


    Que boit-on dans les tavernes Parisiennes ?

    D’abord du "Vin français" Monseigneur. C’est-à-dire du vin produit dans les environs de Paris. Tous les coteaux de la Seine sont plantés de vignes, de cépages fromentel qui donne un joli blanc et du morillon pour le rouge. Celui qui ravit le plus les palais parisiens est le vin d’Argenteuil, comme le souligne Raymond Cazelles dans son ouvrage Paris de Philippe-Auguste à Charles V (Nouvelle Histoire de Paris). On y boit aussi du Bourgogne mais les grands domaines s’attachent à limiter son extension. Mais dans tous les cas, quand le vin est tiré, il faut le boire et vite car ce n’est qu’au XIX° siècle que les techniques de conservation seront développées. Du coup, dans les tavernes parisiennes, la picrate est souvent le lot commun.


     

     

    Gentils mots contre les "taverniers qui brouillent notre vin".
    François Villon I. BALADE JOYEUSE DES TAVERNIERS.

    D'une eect de dart, d'une lance asserée,
    D'une grant faussait, d'une grosse massue,
    D'une guisarme, d'une flèche ferrée,
    D'ung bracquemait, d'une hache esmolue,
    D'ung grand penart et d'une bisagûe,
    D'ung fort espieu et d'une saqueboute ;
    De mauIx briguans puissent trouver tel route
    Que tous leurs corps fussent mis par morceaul:
    Le cueur fendu, desciré par monceaulx,
    Le col couppé d'ung bon branc acherin,
    Descirez soient de truye et de pourceaulx
    Les taverniers qui brouillent nostre vin.
    D'ung arc turcquois, d'une espée affilée
    Ayent les paillars la brouaille cousue,
    De feu gregoys la perrucque bruslée,
    Et par tempeste la cervelle espandue,
    Au grand gibet leur charongne pendue,
    Et briefvement puissent mourir de goutte,
    Ou je requiers et pry que l'on leur boute
    Parmy leur corps force d'ardans barreaulx;
    Vifs escorchez des mains de dix bourreaulx,
    Et puis bouillir en huille le matin,
    Desmembrez soient à quatre grans chevaux,
    Les taverniers qui brouillent nostre vin.
    D'un gros canon la tête escarbouillée
    Et de tonnerre acablez en la rue
    Soienttous leurs corps, etleurchair dessirée,
    De gros mastins bien garnye et pourvue,
    De torz esclers puissent perdre la veue,
    Neige et grésil tousj'ours sur eux dégoutte,
    Avecques ce ilz aient la pluye toute
    Sansquesureux ayentrobbes ne manteaulx,
    Leurs corps trenchczdc dagues et couteaulx,
    Et puis traisnez jusques en l'eau du Rin ;
    Desrompuz soient à quatre-vingts marteau Ix
    Les taverniers qui brouillen nostre vin.

     

    Cinq "escholiers" tués dans une taverne.

    Sous les Capétiens, les étudiants du Quartier Latin, qu’on appelle alors écoliers, comptent parmi les clients les plus fidèles des tavernes. Ce ne sont pas les moins turbulents. François Villon, est assez représentatif de "l'écolier" parisien.


    Paris, attire alors des jeunes de toute l’Europe. Ils se massent sur les flancs de la Montagne Sainte-Geneviève. Ils sortent armés, chahutent voire violentent les femmes, et payent moins qu’à leur tour leurs écots aux taverniers. Quand ils ont le dessus, les taverniers et leurs garçons attrapent les mauvais payeurs, les mettent nus comme des vers et les jettent dehors. L’assistance se régale davantage bien sûr quand il neige ou que le thermomètre est en dessous de 0°.

    Mais tout n’est pas aussi drôle.

    Il y a aussi des bagarres mortelles. En 1200, l’une d’entre elles débouche sur une véritable crise d’état. Le domestique d'un écolier allemand s’en était allé, le broc à la main, chercher du vin pour son patron chez le tavernier du coin. Incompréhension, dispute, ivresse, une bagarre éclate entre le tavernier appuyé par des bourgeois et des étudiants. Les hommes du prévôt, (la police) arrivent et prêtent main-forte aux bourgeois. Bilan : cinq morts parmi les écoliers. L'affaire n’en reste pas là. L’Université de Paris se met en grève. Le roi doit céder. Il fait emprisonner le prévôt tandis que les maisons des meurtriers sont démolies et leurs vignes arrachées.

    "Au bout d'un an cependant, les écoliers, bons bougres, demandèrent que le prévôt et ses hommes fussent remis en liberté, mais à la condition d'être fouettés par les " suppôts " de l'Université. Philippe répondit que son honneur ne le permettrait pas. " relatait Pierre Dominique dans un numéro du Crapouillot en 1960.

    Bien sûr, au-delà du fait divers, il y a la réelle lutte de pouvoir entre le roi et l’Université de Paris. L’université et ses clercs disposeront après ce fait divers d’un privilège spécial. Après 1200, les hommes du Prévôt n’auront plus le droit de porter la main sur un écolier sauf flagrant délit et à fortiori de pénétrer dans l’Université.

    Avec quoi buvez-vous ? Et si vous trinquiez comme nos ancêtres ? Chope, gobelet, verre, gourde, ont su traverser les époques…

    Le gobelet : connu dès l’antiquité
    Dans quoi boit-on dans les tavernes du Moyen-Age ? On trinque dans un abreuvon, un ancien terme générique qui désignait verres à boire, tasses ou gobelets. Au XIVème siècle, le gobel (récipient pour boire, en ancien provençal) remplace les abreuvons. Au XVème siècle, le gobelet s’impose sur les tables. Sa forme très simple est connue depuis l’Antiquité : il s’agit d’un verre cylindrique avec un petit pied. En France, les plus petits modèles mesurent à l’époque 4 centimètres ; les plus grands sont trois fois plus hauts. Le gobelet est d’abord réalisé en terre ou en étain. Puis en verre, gaufré, côtelé et même légèrement coloré, dans des tons verdâtres. A la fin du XVème siècle, le verre devient incolore : on parle de verre " cristallin ". Très recherché, il est alors admis sur les tables des nantis. Peu à peu, le gobelet perd son pied et gagne en richesse décorative. Tronçonnique, lourd et bien assis sur sa base, l’objet gravé ou émaillé porte des inscriptions, des dédicaces, des armoiries, voire des cènes de chasse.

    La chope : inspirée de nos voisins européens
    Grand gobelet moulé, muni d’une anse et d’un couvercle, la chope s’impose d’abord en Lorraine au début du XIVème siècle. Si les premiers modèles sont en métal, c’est simplement pour assurer une bonne solidité. Car le mot chope provient de l’alsacien schopen (puisoir de brasseur) qui a donné chopine. Cette mesure, équivalant à un demi-litre, est utilisée dans l’Est et le Nord de la France. Peu à peu, la chope prend des rondeurs, le verre s’opacifie ou est émaillé de personnages. Sa base, son couvercle et parfois son anse sont protégés par de l’étain. Une belle allure sans doute inspirée de modèles anglais.

    Le verre à jambe : longtemps un objet de luxe
    Un conseil, ne qualifiez plus de verre à pied, le verre à jambe. Car le pied, dans le langage courant, est une jambe pour les spécialistes du verre. Cette précision n’a rien d’une querelle de puristes et correspond beaucoup plus logiquement à la forme du verre. Celui-ci est composé de trois parties : la coupe (également appelée le bol), la jambe et le pied dont dépend l’aplomb. Fabriqués séparément, ces trois éléments sont ensuite assemblés. Inspiré des modèles créés à Venise, ce type d’objet a longtemps été considéré comme très luxueux. D’ailleurs, jusqu’au XVIème siècle, on ne comptait qu’un seul verre pour une table. C’est seulement dans les maisons les plus aisées que le chiffre pouvait être multiplié par trois au quatre. Jusqu’à la Révolution , les verres à boire sont posés sur les buffets. Un serviteur les apporte aux invités et les remportes vides. C’est pourquoi, pendant longtemps, il n’y avait pas de services de verres. Ils ne commenceront à apparaître qu’au XIXème siècle.

    Le verre surprise : cachait bien son jeu
    Le XIXème siècle inaugure les longs repas de famille que l’on apprécie d’animer avec quelques jeux et farces. C’est alors que l’on s’amuse avec les verres " à surprise ". La particularité de ces récipients : le liquide monte à travers un tube placé à l’intérieur du verre (le principe des vases communicants) et colore une figurine. Ces objets, très travaillés, étaient déjà connus au siècle précédent. Ils auraient été fabriqués à Nevers (Nièvre), une des capitales du verre de cette époque. On retrouve déjà la trace de ces objets trompeurs sous la Renaissance , au XVème siècle. Ils prennent alors la forme d’une botte et sont nés à Strasbourg (Bas-Rhin).

    La gourde : un petit air de cucurbitacée
    Le fruit de la courge a donné sa forme et son nom à la gourde ! Le mot vient du latin cucurbita qui signifie à la fois courge et gourde. Cette dernière, qui ressemble au fruit évidé, désigne le récipient en cuir, en céramique ou en verre qui contient un liquide. Les fragiles gourdes de verre que l’on porte accrochées à la ceinture doivent être bien protégées. Au XVIème siècle, les Lorrains trouvent la solution en enveloppant leurs gourdes à eau-de-vie dans un tressage de vannerie. Comme souvent pour les objets d’usage, les gourdes populaires arrivent vitre chez les plus fortunés. Elles sont alors détournées de leur fonction pour devenir une œuvre d’apparat. Les artisans fabriquent pour de riches clients des modèles de luxe en verre coloré et émaillé.

    Les premiers beaux verres trônent sur les tables royales
    Au XIIIème siècle, le mot verre (de l’ancien français voirre, issu du latin vitrum), désigne un récipient individuel pour boire. Les premiers beaux verres apparaissent, eux, à l’aube du XIVème siècle. Rois et princes apprécient ces objets en cristal de roche qui laissent voir la couleur du vin. D’abord cantonnés sur des buffets, les verres passent à table. A la cour de Louis XIII, le sommelier (responsable des couverts et de la préparation du vin) versait le vin et l’eau dans un verre ; l’échanson goûtait le mélange qui tendait le verre au roi. La forme des récipients varient selon la boisson : hydromel, bière…Au XVIIème siècle, la verrerie importée de Venise et de Bohème apparaît chez les plus fortunés.

     

     

     

     

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