• ADN: la fin des impostures Alain Decaux raconte

      

    ADN: la fin des impostures Alain Decaux raconte

     

     

    Alain Decaux

     

    L’ADN ne tranche pas seulement dans les controverses de l'actualité. Il révèle aussi la vérité des mystères du passé. Du nouveau sur le cas Naundorff et le cas Anastasia avec le célèbre historien, de l'Académie française

    Femme : En tant qu'historien, que pensez-vous de cette nouvelle donne ?

    Alain Decaux : C'est vrai qu'elle change tout en ce qui concerne les mystères de l'Histoire. C'est à la fois merveilleux et terrifiant pour les historiens. En effet, voilà tranchés, tout à coup, des débats datant de plus de cent ans. On peut se demander si ce n'était pas plus positif de rêver sur une énigme. Mais, pour l'Histoire, seule la vérité est souveraine.

    F. :Aujourd'hui, Par exemple, on n’a plus de doute sur Kaspar Hauser ?

     

    A.D. : C'est un personnage qui a surgi dans l'Histoire à Nuremberg. On a cru deviner dans l’arrivée de cet adolescent la révélation d’un être important dont l'identité aurait été longtemps dissimulée. Selon ses dires, il a été élevé dans un souterrain. Et pour un magistrat considérable à cette époque, Von Feuerbach, si on pris tant de soin pour l'élever loin de tout, c'est donc que cet enfant n'est pas n'importe qui. Et comme il est né sous le premier Empire, on va rechercher à cette époque s'il n'y a pas un bébé qui soit né et qui soit mort presque aussitôt. C’est alors qu’apparaît l'hypothèse selon laquelle ce Kaspar Hauser serait en vérité l'enfant caché de la grande-duchesse de Bade, née Stéphanie de Beauharnais. Durant fort longtemps, on a étudié et retourné cette affaire dans tous les sens. Après la guerre, le cinéaste Werner Herzog lui a consacré un chef-d’œuvre au grand écran. Les historiens ont beaucoup travaillé, moi je ne croyais pas à cette origine aussi noble qu'énigmatique. Aujourd'hui, l'ADN confirme mon jugement.

    F : Récemment, grâce à l’ADN toujours, on a acquis la certitude que ce Naundorff, qui se disait Louis XVII échappé du Temple, n'était en fait qu'un vulgaire imposteur ?

     

    A.D. : Au début de ma carrière, je suis allé interviewer André Castelot qui venait de publier un livre sur Louis XVII. J'ai toujours dit d'ailleurs que c'est à Louis XVII que nous devons de nous être rencontrés. Le professeur Locard, grand expert, directeur du laboratoire technique de police de Lyon - celui qu'on appelait pour l'empoisonneuse Marie Bénard - avait développé une thèse scientifique expliquant que Naundorff était bien Louis XVII. J'ai été ébloui par cette expertise : les cheveux de l'enfant Louis XVII et ceux de Naundorff étaient du même personnage. Mais un Hollandais a repris l'expertise et a dit que ce n'était pas tenable.

    F : Pourquoi Naundorff, de son temps, a-t-il eu tant de partisans et pourquoi en a-t-il encore ?

    A.D. : Naundorff n'était pas n'importe qui. C'était un inventeur spécialisé dans les explosifs et les fusées et qui avait mené plusieurs expériences en Angleterre dont certaines étaient relatées par la presse. Il est passé en Hollande et il a proposé à son roi ses inventions. Il a été nommé directeur de ce département militaire et longtemps la bombe Bourbon est demeurée en usage. Il a eu plusieurs enfants dont le dernier en Hollande. Il l'a déclaré sous le nom de Bourbon et personne n'a protesté. Quand il est mort, sa veuve et ses enfants ont continué de prétendre à la couronne de France. A Delft, j'ai vu sa tombe et j'ai assisté à l'exhumation de ce qui demeurait de son corps. Jeune journaliste, envoyé par Paris-Presse, j'ai fait faire une photo représentant le professeur qui examinait le squelette. En vérité, cette exhumation avait été faite pour une vérification d'âge, afin de comparer celui de Louis XVII et celui de Naundorff.

    E : Pourquoi les imposteurs, la plupart du temps, ne parlent-ils même pas leur langue d'origine ?

    A.D. : Etre silencieux, faire semblant, écouter, ne pas se dévoiler, est-ce que ce n'est pas cela qui facilite beaucoup le rôle des imposteurs ? Anastasia sortie de son asile d'aliénés rejoint la colonie russe de Berlin. Elle ne veut pas parler. Elle s'enferme dans un mutisme total. Elle a voulu se suicider dans un canal de Berlin. Après être demeurée deux ans dans un asile, une co-pensionnaire dit aux Russes blancs immigrés : " Là, il y a votre grande-duchesse Anastasia ! " Pendant qu'elle se taisait et qu'on croyait la reconnaître, on lui a raconté tout sur les rites, les histoires, les caprices de la cour. Et l'homme qui avait accueilli cette malheureuse chez lui se met à l'appeler " Altesse ". Mais il ne sait pas si parmi les filles du tsar, elle est Anastasia ou Tatiana. Alors, il se retire de la chambre en lui laissant deux feuilles de papier immaculé, l'une au nom d'Anastasia et l'autre au nom de Tatiana. Et il dit à la femme murée dans son silence : " Quand je rentrerai dans cette pièce de nouveau, je veux que vous ayez barré le nom de celle que vous n'êtes pas. " L’inconnue a barré le nom de Tatiana. Quand Anastasia a commencé à entrer dans son personnage, elle n'avait plus probablement d'identité. C'est pourquoi, elle a totalement endossé ce nouveau rôle avant de se mettre plus tard à apprendre le russe. J'ai été amené à l'approcher lors d'une réception donnée en son honneur au Figaro par Dominique Auclères qui était l'un de ses plus fervents soutiens. Plus tard, tournant un film sur Anastasia, je me suis rendu près de cette baraque dans la Forêt Noire où elle vivait cernée de chiens loups. Cette dame racontait qu'elle avait échappé aux massacres d'Ekaterinenbourg, enlevée par un homme qui l'emmenait en Roumanie. J’avais écrit alors que je voulais bien croire qu'elle ait oublié sa langue mais que j'étais surpris qu'elle parle l'allemand, la seule langue qu'on n'utilisait pas à la cour de Russie, où l'on parlait aussi aisément le français que l'anglais. Je me souviens d'un débat houleux, où nous nous étions, Michel de Saint-Pierre et moi-même heurtés violemment aux Dossiers de l'Ecran. Un Américain qui assistait au débat était stupéfait de la violence de nos propos et du calme après la tempête de l'émission : " Vous vous battiez comme si c'était un problème capital ", m'a-t-il dit. Je lui ai souri et expliqué que c'était un jeu très français. Cependant, ma conviction sur la langue utilisée par Anastasia était confirmée par le texte de Gilliard, le Français qui avait été pris comme précepteur des enfants impériaux. Dans ses souvenirs, il est formel ; les grandes-duchesses n'ont pas étudié l'allemand.

    F. :Grâce à l’ADN encore, on a pu reconnaître les ossements de Nicolas II ?

    Le tsar Nicolas II et la famille Impériale

    A.D. :Effectivement, la tragédie des derniers des Romanoff emprisonnés à Ekaterinenbourg s'est achevée avec l'approche de l'armée des Russes blancs qui voulaient délivrer la famille impériale de leur geôliers bolchéviques. C'était donc une course-poursuite entre les Blancs et les Rouges et, dans la précipitation autant que dans la peur de voir le tsar et sa famille délivrés par leurs partisans, les bolchéviques prirent la décision fatale. Après la fusillade d'Ekaterinenbourg, les cadavres ont été emportés en camion dans la nuit. Les Russes blancs approchaient. On entendait le son de leurs canons. Les Blancs sont arrivés presque tout de suite et ils ont arrêtés les gardes rouges qui avaient tiré. On les a interrogés et ils ont indiqué le puits de mine désafecté où d'après eux on avait jeté les cadavres. On a fouillé le puits mais on y a trouvé un magma informe. On a trouvé aussi des armatures en fer de corsets de femmes, autant de femmes que dans la cave du massacre et c'est sans doute pourquoi on n'est pas allé plus loin. Un brave homme obsédé par cette énigme a cherché ailleurs, au temps des communistes, et a trouvé des squelettes. Il l'a fait savoir un peu plus tard quand Gorbatchev a accédé au pouvoir. On a retrouvé ces squelettes et on a envoyé certains ossements à Londres où on les a soumis au test de l'ADN.

    F : Quelle est donc votre conclusion en tant qu'historien ?

    A.D. :L’historien a bien sûr envie qu'on résolve les mystères. Je suis très content pour ma part de ces découvertes modernes mais je pense aux lecteurs et au public à qui l'on ôte le droit de rêver. Finalement pourtant, la vérité doit l'emporter sur le rêve.

    Alain Decaux vient de publier, aux éditions Perrin, un nouveau livre : " La Guerre absolue ". L’ouvrage contient dix histoires qui se déroulent toutes pendant la Seconde Guerre mondiale. Elles sont si extraordinaires qu'on les croirait surgies d'une imagination débridée. Or elles sont parfaitement authentiques. " Aucune de ces affaires n'auraient pu exister hors du climat né de la dernière guerre, affirme Alain Decaux, c'est pourquoi je l'appelle la guerre absolue. "

    Article du Magazine "FEMME" N° 120 Juillet-Aout 1998

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